Embourbée dans un déficit structurel, la Cinémathèque québécoise étudie la possibilité de fusionner des services avec Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ). Inquiets, les employés ont réclamé, mercredi, que Québec injecte 800 000$ supplémentaires à son financement public annuel afin d'éviter ce scénario qui mènerait «à une perte d'expertise».

Au café de la Cinémathèque, boulevard De Maisonneuve, à Montréal, la présidente du syndicat des employés a affirmé qu'il était minuit moins une pour sauver l'institution vieille de 51 ans. «Ce qu'on craint plus que tout, c'est qu'il y ait une fusion», a dit Lorraine LeBlanc en point de presse, accompagnée d'une brochette de personnalités du milieu cinématographique, dont les cinéastes Charles Binamé et Léa Pool.

Déjà en décembre, La Presse a révélé que la Cinémathèque québécoise menait «une étude d'opportunité» afin d'évaluer comment elle pouvait arrimer certains services avec BAnQ. Selon nos informations, les conclusions de cette étude seraient dévoilées en juin, possiblement à quelques jours de la Fête nationale du Québec.

Or, en cette semaine du dépôt du budget provincial, les employés de l'organisme - qui n'appartient pas à l'État - exigent que le ministère de la Culture augmente ses subventions afin d'assurer la pérennité de son mandat, qui est d'acquérir, documenter, sauvegarder et promouvoir le patrimoine audiovisuel québécois.

«Ça fait 45 ans que je viens à la Cinémathèque. Quand je cherchais des images de l'Abitibi, qui datent des années 30, pour réaliser la série Blanche, c'est ici que je suis venu. Plus récemment, je les ai appelés pour leur dire que j'avais environ 40 boîtes d'archives pour eux. J'ai reçu un accueil magnifique», a pour sa part affirmé Charles Binamé.

«Une éventuelle fusion entraînerait la disparition de la Cinémathèque. Nous devons défendre son intégrité, car elle joue un rôle unique. Nous demandons au gouvernement d'inclure les employés dans cette réflexion», a martelé la secrétaire générale de la Fédération nationale des communications, Pascale Saint-Onge.

Échange musclés à l'Assemblée nationale 

Au même moment, lors de la période de questions à l'Assemblée nationale, à Québec, la ministre de la Culture, Hélène David, a eu un échange musclé avec la critique péquiste en la matière, Véronique Hivon.

«Je suis vraiment contente d'avoir l'occasion de mettre les points sur les i et d'être très claire. C'est assez incroyable d'avoir des propos comme ça, quand on sait que cette demande [de fusion] est une réflexion [entreprise] par la Cinémathèque, qui a des difficultés financières. Le gouvernement finance [l'organisme] à hauteur de 80%. C'est un financement important», a affirmé Mme David.

Or, les fonds publics provenant des gouvernements fédéral et provincial et de la Ville de Montréal ne forment que 50% du budget de la Cinémathèque. Contrairement à ce qu'elle avait affirmé, Québec finance plutôt 80% de cette enveloppe, et non pas ce même pourcentage du budget total, a précisé la ministre David en entrevue avec La Presse.

«Rappelons aussi que la Cinémathèque québécoise n'est pas une société d'État. C'est un organisme à but non lucratif qui a une mission importante que nous voulons protéger. [...] Le Ministère accompagne [la direction dans ses réflexions]. Le mot "accompagner" est très important ici. Ils peuvent regarder d'autres scénarios. Quand ils seront prêts, ils retourneront avec leurs conclusions devant leur conseil d'administration et, éventuellement, devant leur assemblée générale», a dit Mme David, excluant pour l'instant l'hypothèse d'augmenter les subventions à l'organisme.

Véronique Hivon croit pour sa part que la ministre de la Culture «amplifie les inquiétudes du milieu» en n'écartant pas l'idée d'une fusion avec BAnQ.

«Non seulement elle n'a pas nié d'aucune façon le scénario de fusion, mais elle n'a donné aucune indication de sa volonté de bien accompagner la Cinémathèque pour assurer son avenir. La fusion, ça serait inacceptable. Cette idée doit être rejetée et la ministre doit défendre l'institution. Ce ne sont pas des sommes faramineuses, en culture.», a-t-elle dit à La Presse.

La direction de la Cinémathèque québécoise n'a pas voulu réagir à la sortie de ses employés, mercredi.

Selon nos informations, une soixantaine de membres de l'assemblée générale seraient «si en colère» qu'ils réclameraient ces jours-ci une réunion d'urgence afin d'éclaircir la situation.

La Cinémathèque en bref

• Fondé en 1963, l'organisme a pignon sur rue dans le Quartier latin de Montréal.

• Membre de la Fédération internationale des archives du film, il s'agit de la seule cinémathèque au Canada.

• Mission: «Acquérir, documenter et sauvegarder le patrimoine audiovisuel québécois ainsi que le cinéma d'animation international, collectionner des oeuvres significatives du cinéma canadien et mondial, pour en assurer la mise en valeur à des fins culturelles et éducatives.»

• Propriétaire d'un centre de conservation spécialement aménagé pour ses oeuvres d'archives à Boucherville.

• Détient «plus de 40 000 films et vidéos internationaux de toutes les époques, 30 000 émissions de télévision, 28 000 affiches, 600 000 photos, 2000 appareils anciens, 15 000 scénarios et documents de production, 45 000 livres, 3000 titres de revue et des milliers de dossiers [...]»

SOURCE: site internet de la Cinémathèque québécoise