À peine assis, Patrick Hivon amorce la discussion avec Steve Laplante en livrant cette confidence : « J’aurais adoré jouer ton rôle dans Léo. »

Mais autant Patrick Hivon aurait souhaité camper Chabot, l’attachant acolyte du héros imaginé et défendu par Fabien Cloutier, autant il savoure chaque épisode qu’il découvre comme simple téléspectateur. « Quand tu joues dans quelque chose, tu dois bouder ton plaisir, d’une certaine façon, observe le comédien. Ça m’est déjà arrivé d’être hyper content de jouer dans une affaire, mais d’un autre côté, j’étais triste parce que je savais que je n’allais pas pouvoir en profiter une fois sorti. »

Ce type de déception peut seulement poindre quand son agenda est bien rempli, précise Steve Laplante.

« Sans blague, quand tu as assez de job et que tu n’as pas à t’inquiéter pour l’argent, c’est l’fun d’écouter un projet écœurant dans lequel tu aurais voulu jouer », renchérit Patrick Hivon.

Doubles finalistes

Patrick Hivon et Steve Laplante discutent de Léo parce qu’il s’agit d’une des deux séries pour lesquelles ce dernier est finaliste aux prochains prix Gémeaux. La seconde est Chouchou, de l’auteur Simon Boulerice, qui dépeint l’histoire de Chanelle (Évelyne Brochu), une professeure de 37 ans qui s’embourbe dans une relation interdite avec Sandrick (Lévi Doré), son élève de 17 ans. Steve Laplante y campe le conjoint cocu, qui s’avère la force tranquille du drame à fleur de peau, que Noovo a diffusé l’automne dernier.

Le comédien raconte avoir accepté le rôle après avoir parcouru le scénario des premiers épisodes et parlé aux réalisateurs Marie-Claude Blouin et Félix Tétreault. « Je voulais qu’il ait un côté un peu laid, qu’il ne soit pas parfait. Je voulais m’assurer qu’il ait une colonne vertébrale. »

Patrick Hivon pourrait également remporter deux statuettes dorées : celle du meilleur rôle de soutien – comédie pour L’œil du cyclone, dans laquelle il interprète l’éternel adulescent Jean-François, et celle du meilleur premier rôle – série dramatique pour La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé. Dans cette adaptation d’une pièce de Michel Marc Bouchard signée Xavier Dolan (sa première incursion au petit écran), le finaliste personnifie Julien, l’aîné renfermé et torturé d’une fratrie fracturée, minée par plusieurs non-dits.

Patrick Hivon, qui reprenait la partition qu’il avait défendue sur scène en 2019 au Théâtre du Nouveau Monde, qualifie Laurier Gaudreault de « projet d’envergure » d’une rare intensité : 45 jours de tournage répartis sur 6 mois, un plateau qui rassemblait quotidiennement une centaine de personnes et l’aura d’un réalisateur qui jouit d’une renommée mondiale.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Patrick Hivon

C’était de longues heures, de très longues heures, mais c’était la meilleure affaire qui pouvait m’arriver. Par moments, j’étais tellement fatigué que j’étais perdu. J’ai lâché prise. Je n’étais plus dans le regard de moi-même. Je voulais juste finir la job et l’envoyer au client !

Patrick Hivon, comédien. à propos de la série La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé

Cet abandon a soufflé Steve Laplante, qui s’est délecté de chaque épisode. « Quand on t’a vu, moi pis ma blonde, on a fait comme : “OK. Woa !” Il y avait une charge… Tu as atteint une autre coche. C’était vraiment impressionnant. »

Être heureux pour l’autre

Steve Laplante et Patrick Hivon sont tous deux diplômés de l’École nationale de théâtre du Canada : le premier en 1996, le second en 2000. Bien qu’ils aient chacun mené une carrière entre télévision, cinéma et théâtre, ils n’ont travaillé ensemble qu’une seule fois : en 2020 pour Babysitter, de Monia Chokri. Le souvenir du long métrage, dans lequel ils jouaient des frères, accroche un sourire aux visages des comédiens, qui affirment avoir beaucoup rigolé durant l’aventure.

« Sinon, on ne s’est pas vraiment côtoyés, indique Patrick Hivon. Je vais faire mon téteux : j’aurais aimé ça qu’on se voie plus souvent. »

Les deux acteurs ignorent s’ils ont passé les mêmes auditions au cours des années. Ils affirment toutefois qu’ils auraient été heureux de voir l’autre réussir.

« Plus tu vieillis, plus tu apprends à dealer avec tout ça », lance Steve Laplante.

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, LA PRESSE

Steve Laplante

En sortant de l’École nationale, j’auditionnais, mais je n’avais rien. J’étais découragé jusqu’à ce que je réalise que : “Ah, OK. C’est la game.” Tu dois l’accepter, parce que tu n’y peux rien. Des fois, tu es juste trop vieux, trop jeune, trop chauve… Des choses impossibles à contrôler.

Steve Laplante, comédien

« Je n’ai jamais senti d’hostilité entre acteurs, poursuit Patrick Hivon. Au début, quand j’avais un rôle et qu’autour de moi, les autres étaient contents, j’étais surpris. Ça m’a fait réaliser : “Ah ben crisse, je vais être généreux, moi aussi. Je vais être content pour eux.” »

Se prêter au jeu

Patrick Hivon et Steve Laplante partagent la même vision des prix Gémeaux, auxquels ils assisteront, dimanche soir, au Théâtre Maisonneuve. À leurs yeux, il s’agit d’une occasion de promouvoir la télévision québécoise et d’échanger entre collègues. En entrevue, ils persistent et signent : ils n’accordent aucune importance aux sélections qu’ils récoltent.

« Des fois, on fait la plus belle affaire de notre vie, pis ça passe sous silence, et d’autres fois, on fait quelque chose de correct, pis ça pogne au bout, relativise Patrick Hivon. Je ne peux pas dire que je tripe d’aller là-bas, mais je suis bon joueur. Il faut se prêter au jeu. »

« Quand j’apprends que j’ai été nommé, je considère que j’ai gagné, ajoute Steve Laplante. J’ai reçu quatre nominations l’an passé. Je n’ai rien gagné. C’est un record qui ne sera jamais battu, je pense. »

Télé-Québec diffuse La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé les jeudis à 21 h. La série est également présentée sur Club illico. Chouchou est offerte en rattrapage sur Crave. Léo est relayée sur Club illico. L’œil du cyclone est offerte sur ICI Tou.tv Extra.