Le contexte pouvait difficilement être plus chargé politiquement pour recevoir à Montréal des membres du groupe militant russe Pussy Riot.

Au lendemain de l'élection à la présidence des États-Unis de Donald Trump, dont le groupe a vivement dénoncé les positions xénophobes, Maria Alyokhina, condamnée en 2012 avec deux de ses collègues par un tribunal de Moscou pour avoir organisé une manifestation musicale spontanée dans une cathédrale orthodoxe dénonçant les dérives autoritaires dans son pays, était accompagnée de Sasha Bogin pour une entrevue menée par le journaliste canadien George Stroumboulopoulos.

«Je ne comprends pas pourquoi les Américains ont voté pour Trump. Il est contre les femmes, contre les réfugiés, mais les gens l'ont quand même appuyé. Je ne m'explique pas cela», affirme Sasha, qui est également journaliste dans une agence de presse lancée par Maria Alyokhina en Russie.

Hier, les deux membres de Pussy Riot sont arrivées en retard au Théâtre Maisonneuve de la Place des Arts, où les attendait une foule d'environ 200 personnes. Elles ont été retardées pendant près de deux heures à la frontière canadienne à l'aéroport Montréal-Trudeau.

«Vous avez vraiment des frontières étanches», a dit en rigolant Maria, avant que l'animateur Stroumboulopoulos réponde à la blague que «peut-être cela deviendra-t-il nécessaire», faisant référence à l'élection de Donald Trump.

Des manifestations anonymes

Le groupe Pussy Riot, qui organise en Russie des actions militantes spontanées, le visage masqué de tissus colorés, dénonce les entraves à la liberté d'expression et les dérives autoritaires du système judiciaire russe, corrompu par le pouvoir. Hier, Maria et Sasha ont décrit les dérives que subissent les artistes russes qui s'expriment contre le Kremlin.

Quelques années avant le début du troisième mandat de Vladimir Poutine à la tête de la Russie, un groupe d'artistes a dessiné un gigantesque pénis sur un pont-levis situé devant l'édifice des services secrets. Quand la structure a été levée, le résultat spectaculaire a fait rigoler bien des gens. À l'époque, l'oeuvre avait reçu des prix pour ses qualités artistiques.

Aujourd'hui, ce type d'action est difficilement réalisable en Russie, ont expliqué les deux jeunes femmes, car les artistes qui font de l'art urbain militant ont peur ou sont emprisonnés. Ce n'est que deux ans plus tard que Maria Alyokhina et deux acolytes ont été emprisonnées pour avoir chanté dans une église des chansons punk contre les autorités politiques.

Plus qu'un groupe, un mouvement

Ce qui était d'abord un groupe d'artistes engagés qui organisaient des manifestations spontanées pour contester le pouvoir est aujourd'hui devenu un mouvement citoyen. «Tous ceux qui s'identifient à votre combat peuvent s'identifier à vous maintenant. Tout le monde peut être des Pussy Riot», a résumé George Stroumboulopoulos.

Depuis sa libération, Maria Alyokhina parcourt le monde pour parler du droit de parole en Russie et de l'absence d'un État de droit pour ceux qui sont arrêtés pour des motifs politiques. Avant le début de la conférence, hier, elles ont présenté un extrait du film Act and Punishment, dans lequel les dérives dont elles sont victimes sont clairement démontrées.

Récemment, le groupe a également créé une agence de presse qui se déploie pour défendre les valeurs de liberté promues par Pussy Riot. Les journalistes, ont expliqué les deux jeunes femmes, sont parfois battus, intimidés et kidnappés en Russie par des hommes vêtus de cagoules.

Dans un extrait vidéo présenté hier, Maria et Sasha ont décrit une attaque en règle perpétrée contre un groupe de journalistes hostiles au pouvoir. Vladimir Poutine a depuis demandé une enquête.

«Personne n'a été arrêté après cette attaque. Ça fait sept mois, et rien n'est survenu», a déploré Sasha Bogin.