Casseur de moules et brasseur de patrimoine, Yves Lambert revient là où on ne l’attendait pas. S’éloignant du répertoire trad, il trouve dans la chanson des années 1930 de quoi épancher son goût pour le romantisme.

L’étiquette qui colle le moins à Yves Lambert est celle de traditionaliste, ce qui est paradoxal pour un artiste associé au folklore depuis des décennies. L’ancien pilier de La bottine souriante est en effet un anticonformiste, un perpétuel « outsider », dit-il, et un chercheur de trésors animé par l’envie de faire dialoguer ses trouvailles anciennes avec le présent.

Sa plus récente tournée, il l’a faite le mois dernier : 15 concerts entre le 1er et le 30 décembre. La saison de la musique traditionnelle, ici, compte à peu près autant de jours qu’un calendrier de l’avent. Yves Lambert le sait et il ne se bat plus contre cette vision réductrice des choses. Il en profite pour monter sur scène, gagner sa vie et faire plaisir au monde.

« Ç’a été une grosse tournée, dans toutes sortes de conditions. Ce n’était pas de grosses salles officielles, mais beaucoup de salles intermédiaires, indépendantes. Toutes pleines », se réjouit-il.

Des ostie de crowds, à part ça ! Avec du monde qui était dedans, sur le party, et du monde attentif aussi. L’écoute, la présence, c’était bouleversant.

Yves Lambert

S’il se plie de bon gré à la logique de la tournée du temps des Fêtes, il n’est pas rentré dans le rang pour autant. Yves Lambert a même fait exprès pour publier son nouveau disque après les fêtes de fin d’année. Il ne le dit pas comme ça, mais on sent que c’est encore une façon de briser un moule, de faire un pied de nez à une convention. Puis, il faut le dire, Romance paradis, à paraître vendredi, est l’album le moins trad de son imposante discographie.

Tour de ville

Les sept chansons qui composent ce court disque ne sont pas issues du terroir. Il s’agit d’airs jadis portés par des chanteurs comme Conrad Gauthier, Albert Marier, Hector Pellerin ou Odilon Rochon, des voix qui résonnent peu aujourd’hui, mais qu’on entendait beaucoup il y a un peu moins de 100 ans et qui sont associées à l’essor du nouveau média de l’époque : la radio.

« La musique traditionnelle, depuis le folk revival des années 1970 et même avant avec La famille Soucy, le répertoire était très rural. C’était des chansons de cuisine, ça se passait beaucoup dans les campagnes, explique-t-il. Puis moi, à un moment donné, je suis tombé dans la chanson réaliste française et le mouvement qui est venu au Québec à peu près en même temps, dans les années 1930. »

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Yves Lambert et son Bébert Orchestra, accompagnés de Juan Sebastian Larobina en 2011.

Yves Lambert dit qu’il est « un freak du romantisme », que le XIXsiècle – qu’il considère comme un âge d’or – le fait triper. Il en aime la littérature et la poésie. « J’ai beaucoup travaillé là-dessus dans les dernières années, dans cette espèce d’esprit romantique », précise-t-il. Le répertoire choisi pour son plus récent disque lui a permis d’explorer cette facette de sa sensibilité.

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Romance paradis porte bien son titre : c’est un album où il est beaucoup question de sentiments amoureux. Les airs les plus romantiques sont d’Albert Marier dont il reprend Savoir qu’on nous aime et Le chant de la pluie, d’après un poème de Verlaine. « C’est une chanson sur l’ennui et la solitude, relève-t-il. Est-ce qu’on est dans une époque où il y a des gens qui s’ennuient et se sentent seuls, d’après toi ? »

Tendre un miroir

La réponse s’impose d’elle-même, selon lui. Or, cette question souligne aussi une chose qui demeure intimement liée à la quête d’Yves Lambert : il choisit des chansons qui tendent un miroir au monde d’aujourd’hui ou, du moins, dans lesquelles lui voit un reflet de l’époque contemporaine. C’était vrai dans l’adaptation qu’il a faite de la chanson Le démon sort de l’enfer avec La bottine souriante et ça le demeure avec Chanson bête, signée Hector Pellerin, qui parle de deux amants qui ne se sont jamais rencontrés.

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Yves Lambert en 2016

« C’est complètement internet ! C’est complètement dans le vent ! » s’exclame le brasseur de patrimoine avant de souligner les liens qu’il voit entre ce morceau et la poésie de Prévert ou le surréalisme. Ses fondations culturelles, insiste-t-il, sont de l’autre côté de l’océan.

« Je suis héritier de la culture française bien plus qu’américaine », signale Yves Lambert, qui se dit néanmoins grand fan de Leon Russell et de DJohn.

« Avec le temps, j’ai changé et le côté littéraire, le côté chanson m’intéressent plus qu’avant. Plus que la musique », précise-t-il, tout en ajoutant que l’accordéon et le reel ont toujours été sa fondation. Sa « prise à la terre » comme il dit. Notre monsieur Lambert s’époumone d’ailleurs moins sur son instrument, sur Romance paradis.

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« Je suis chanteur, moins instrumentiste sur ce disque-là. Encore là, c’est une question de circonstances, fait-il valoir. Un album, c’est une photo dans le temps. Ç’aurait pu être plus élaboré, mais j’aime ça aussi, les choses un peu plus rough. Avec ben de l’argent, tu peux peaufiner, mais l’essentiel ce n’est pas ça. L’essentiel, c’est le geste. Là, chanter le sentiment amoureux, avec cœur, pour moi, c’est une sorte de consécration. »

Romance paradis

Néo-trad

Romance paradis

Yves Lambert

La Pruche libre
Album disponible le vendredi 26 janvier