Après Taylor Swift, Beyoncé permettra à ceux qui l’ont manquée sur scène de la voir au grand écran. Filmé lors de sa dernière tournée, Renaissance prendra l’affiche en décembre. Pourquoi ces deux vedettes se sont-elles lancées dans une telle opération ? Et ces sorties quasi simultanées marquent-elles un tournant pour les films de concert ? Tentons d’y voir plus clair…

Il n’est donc pas trop tard pour assister au dernier concert de Beyoncé ?

En quelque sorte. Si vous ne pouviez vous permettre une virée à Toronto, seule ville canadienne, avec Vancouver, où la chanteuse s’est arrêtée dans le cadre de sa dernière tournée, voilà votre chance. Beyoncé a dévoilé mardi la bande-annonce de Renaissance, la captation de sa tournée du même nom, qui s’est achevée début octobre au Missouri. Attendu le 1er décembre, le film promet de dévoiler les coulisses d’une tournée mondiale ayant rapporté plus de 460 millions de dollars à la chanteuse américaine.

Elle emboîte le pas à Taylor Swift, dont le film documentant sa tournée à succès prendra l’affiche vendredi prochain. Le distributeur du long métrage Eras Tour, AMC Theatres, a annoncé que la prévente de billets avait déjà généré des recettes de 100 millions de dollars. Quant au documentaire de Beyoncé, il aurait récolté de 6 à 7 millions de dollars après la première journée de prévente, des recettes comparables à celles d’Avatar : The Way of Water et de Guardians of the Galaxy : Vol. 3 au même stade.

Ah, ces films de concert sont donc avant tout une affaire d’argent…

Pas seulement. La tournée de Taylor Swift, par exemple, pourrait générer des recettes de 1,9 milliard, selon certaines estimations, alors quelques centaines de millions de plus ou de moins… Le film de concert est avant tout une affaire d’image, estime Danick Trottier, professeur de musicologie à l’Université du Québec à Montréal. « Il permet de contrôler le discours autour de la tournée », note-t-il. L’artiste y est présenté comme un être surhumain dans les efforts qu’il déploie, soir après soir, pour animer des dizaines de milliers de personnes pendant des heures. « On fait ressortir l’artiste comme quelqu’un d’exceptionnel », souligne M. Trottier.

Le film de concert permet aussi de laisser une trace. Contrairement à un album, une tournée a une fin. En documentant sa tournée, Beyoncé lui donne une seconde vie. « Ça permet de capter l’attention, de créer l’évènement. Est-ce aussi une façon pour elle d’attirer les projecteurs sur sa personne, alors qu’ils sont beaucoup sur Taylor Swift actuellement ? », se demande Danick Trottier.

Quel est l’intérêt pour les fans ?

Ce n’est pas comme la véritable expérience, on s’entend. Mais le film de concert possède aussi ses qualités, notamment le fait d’amener le public dans les coulisses. « On veut toujours en savoir plus ! La relation entre l’artiste et le fan se nourrit de cette curiosité. Comment est-ce que l’artiste se motive avant un concert ? Quelle est sa routine ? », souligne Danick Trottier.

Puis, il y a la question de l’accessibilité. « Aujourd’hui, voir ces stars coûte extrêmement cher », reconnaît le professeur. Le coût d’un billet au parterre pour la tournée Eras peut s’élever à plusieurs milliers de dollars en raison de la tarification dynamique. Pour de nombreux fans, le film est le plus près qu’ils seront jamais d’assister à un spectacle de leur idole, pour une fraction du prix. « C’est clair qu’il vient compenser une frustration qu’ont certains de ne pas pouvoir voir leur star préférée sur scène », soutient le professeur.

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En documentant sa tournée, Beyoncé lui donne une seconde vie.

Peut-on en conclure que ces longs métrages marquent un renouveau pour les films de concert ?

« C’est un créneau qui se développe et je pense qu’on passe à une autre étape avec Taylor Swift et Beyoncé », répond Éric Bouchard, coprésident de l’Association des propriétaires de cinémas du Québec.

Ce n’est pas d’hier que les salles de cinéma présentent des concerts sur leurs écrans. Or, il est vrai que le genre s’était quelque peu essoufflé au cours des dernières décennies (si l’on fait abstraction des captations en direct d’opéras du Met, par exemple).

Selon M. Trottier, les films de concert étaient particulièrement populaires dans les années 1960 et 1970, surtout chez les artistes rock. « L’un des premiers cas marquants est What’s Happening ! The Beatles in the U. S. A., sorti en 1964, qui portait sur l’arrivée du groupe aux États-Unis », explique-t-il. Puis il y a eu Gimme Shelter avec les Rolling Stones (1970), The Last Waltz avec The Band, Bob Dylan, Neil Young et Joni Mitchell (1976), sans oublier Stop Making Sense avec Talking Heads (1984), pour ne nommer que ceux-là…

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David Byrne de Talking Heads dans Stop Making Sense

« Là, je sens qu’il y a un retour », observe le professeur. « Il y a peut-être un lien avec l’arrivée des plateformes numériques comme Netflix. On se nourrit beaucoup de documentaires musicaux. L’offre abonde », poursuit-il.

Et maintenant, ces deux films avec les plus grands noms de la pop prendront l’affiche… « On a tendance à voir le cinéma et la musique comme deux arts distincts, mais il y a des vases communicants. Les artistes cultivent déjà leur image à travers leurs concerts, leurs disques, alors pourquoi pas au cinéma ? », conclut-il.

Taylor Swift : The Eras Tour prendra l’affiche le 13 octobre. Renaissance : A Film by Beyoncé sera en salle le 1er décembre.