Richard Séguin a présenté jeudi soir au Théâtre Outremont le premier de deux spectacles en ouverture de Coup de cœur francophone. Un spectacle émouvant autant que galvanisant, dans lequel l’auteur-compositeur-interprète de 70 ans montre qu’il est plus pertinent que jamais.

Le chanteur, qui est en tournée partout au Québec, n’était pas monté sur scène depuis cinq ans. Lorsqu’il est venu rejoindre ses musiciens au début du spectacle, avant même qu’une seule note de musique soit jouée, son sourire en disait long sur son plaisir d’être là. « Salut, salut ! », a-t-il lancé au public à la fin de la première chanson, dans une simplicité joyeuse.

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Le sourire de Richard Séguin en disait long sur son plaisir d’être là.

C’est au Richard Séguin des grands jours que nous avons eu droit, en forme et en voix – si, sur son nouvel album Les liens les lieux, son interprétation semble parfois fragile, pas d’inquiétude, la puissance est toujours au rendez-vous, mais aussi la justesse et la nuance.

L’impression que le chanteur ne vieillit pas ne nous quittera pas de la soirée, même quand il chante la lucide et poignante Puisque : « Puisqu’il me reste un peu de temps/Puisque nos mots durent plus longtemps… »

Dès les premières mesures de Rester debout, réarrangée à la sauce americana – banjo, guitares, batterie –, on constate qu’il ne reste plus grand-chose de pop-rock dans le répertoire de Richard Séguin. Sans basse, entouré de trois musiciens d’exception, Raphaël D’Amours et Simon Godin aux guitares, Alexis Martin aux percussions, il donne à ses chansons, les plus vieilles comme les plus récentes, une tournure intemporelle qui puise dans la musique racine nord-américaine, le bluegrass, le country, le folk.

Il propose ainsi un voyage diversifié à l’enrobage vibrant, dans lequel les arrangements font de la place à toutes sortes de guitares, du lap steel (Tout près des trembles), de la guitare électrique (Pleure à ma place) ou hawaiienne (Double vie), et bien sûr à de l’harmonica (la dylanesque Roadie).

Le résultat sent la route et les grands espaces, et toute cette respiration laisse la place à chacun des mots. Tout comme les projections qui viennent soutenir le propos, des images floues en noir et blanc ou avec un peu de couleur, presque abstraites, qui s’impriment parfois sur les musiciens pour un effet des plus réussis venant accentuer la cohésion du groupe.

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Richard Séguin entouré de Raphaël D’Amours (guitares), Alexis Martin (percussions) et Simon Godin (guitares)

Dans la salle, l’écoute est d’ailleurs palpable tellement elle est dense. Le public est composé en grande majorité de gens qui ont fait la queue devant le Spectrum pour aller voir le Richard Séguin des grandes années. La mélancolie du temps qui file a fait monter quelques larmes pendant Sous les cheminées ou Pleure à ma place, mais Richard Séguin nous fait lui-même le cadeau de ne pas tomber dans la nostalgie dans les présentations de ses chansons. Il a le cœur au présent et le regard vers l’avenir, et c’est la pertinence de sa parole, qui est restée cohérente au fil des décennies, qui est tout aussi émouvante, sinon plus.

Le doublé Au bord du temps (sur les migrants, qui date de 2016) et Qu’est-ce qu’on leur laisse (écrite, rappelons-le, en 2006) nous aura donc rempli les yeux d’eau. « Qu’est-ce qu’on leur laisse/un arbre, un mot, un geste/l’ivresse d’un sourire » : qu’il fasse suivre cet appel à la responsabilité par la fâchée Chemins forestiers – qui figure sur son nouvel album et qu’il dédie au collectif Mères au front – en dit long sur la profondeur du répertoire autant que sur l’engagement qui l’anime.

Dans la deuxième partie de ce spectacle de 90 minutes sans entracte, le chanteur alterne entre les chansons délicates de son nouvel album (les très belles On voudrait et Un peu de poésie, écrites par la poète Hélène Dorion, Tout près des trembles, bouleversant hommage à sa mère) et ses grands hymnes rassembleurs – Double vie, Journée d’Amérique, l’épique L’ange vagabond, qui n’a rien perdu de sa puissance d’évocation, et dans laquelle il offre une performance vocale ahurissante. L’intime et le vaste se succèdent, entre le pays de l’enfance et le pays habité, avec un regard et une sensibilité au monde qui ne se sont pas altérés.

« Comme disait Félix, je ne suis pas un chanteur, je suis un homme qui chante », a dit Richard Séguin avant d’entonner, a capella, son Petit hymne au grand rang, un texte d’Hugo Latulippe qui conclut son plus récent album.

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Richard Séguin a le cœur au présent et le regard vers l’avenir, et c’est la pertinence de sa parole, qui est restée cohérente au fil des décennies, qui est tout aussi émouvante, sinon plus.

« Ces territoires sont nos temples », dit la dernière phrase. Richard Séguin en est sûrement le gardien le plus éloquent, celui qui est « resté debout », les deux pieds bien plantés sur la scène.

Consultez les dates de la tournée sur le site de Richard Séguin