Notre virée jazz ? Moins vadrouilleuse qu’il y a 40 ans, en 1982 rue Saint-Denis, quand nous y posions les pieds pour la première fois, fasciné par absolument tout ce qui entrait dans nos oreilles, émanant des différentes scènes jusqu’au bout de la nuit.

Le temps a passé, mais force est d’admettre qu’on est toujours chanceux de détenir ce passeport valide vers l’inconnu : 10 jours de jazz sous toutes ses déclinaisons et du nouveau, du tout frais, de l’étonnant.

Même si certains concerts en salle, plus grand public, nous ont fait rouler les yeux d’exaspération, on a vibré très fort dans cette 42e édition, qui se termine dimanche.

Louis Cole et son Big Band nous ont dévoilé leur attirance pour le jazz farfouilleur, décomplexé, au deuxième jour des festivités. Son armada de 12 musiciens œuvre avec aisance et propose un jazz bien expédié, affriolant au possible. Du boucan en contrôle. L’équipe de programmateurs, désormais menée par Maurin Auxéméry, le dauphin de Laurent Saulnier, ne devrait pas tarder à leur offrir une plus grande scène que celle de l’intime Studio TD, où ils se produisaient.

Le lendemain, le grand précédent : du jazz jazz sur la place des Festivals, la plus imposante des scènes, avec Kamasi Washington, le jazzman préféré des hipsters (durant les années 1990, c’était Medeski, Martin & Wood). Au cœur de la foule compacte de disciples venus communier à l’autel, nous avons pu goûter pleinement les sept morceaux aux riffs autoritaires, et même éreintants, du saxophoniste ténor californien.

Coup de gueule : est-ce qu’on peut arrêter une fois pour toutes de l’associer au rappeur Kendrick Lamar et Thundercat, cet émulateur de George Duke ? Les crescendo torrides de son groupe, Next Step, nous ont fait passer à une sorte de musique supérieure, de jubilation, qui s’exprime avec beaucoup de complexité bien maîtrisée et permet de diaboliques échappées ! Beau et désarmant à la fois. À l’image des concerts passés de David Murray, Roland Kirk ou Pharoah Sanders, des saxophonistes de tranchée qui ont fait les chaudes nuits du festival.

Le 4 juillet, le chanteur de soul classique Lee Fields nous a fait vivre 1967 en 2022 avec la relecture de perles cuivrées tirées de l’oubli. Un honnête tribut à la plus noble des conquêtes : chanter avec ses tripes.

À 71 ans, il propage le genre avec persuasion. Whisky aidant, il en beurre juste assez. Avec, dans sa mire, le spectre d’Otis Redding, de Bobby Womack et d’Otis Clay. Millésimé et efficace !

Vingt-quatre heures plus tard, on s’est promené entre l’esplanade Tranquille, où jouait le Delvon Lamarr Organ Trio, et la scène Rio Tinto, où s’amusait au même moment le bassiste-producteur Mononeon.

Sans tomber dans une horripilante démonstration de style, les deux protagonistes ont épaté. Lamarr se paie quelques délicieuses tranches de plaisir sur son Hammond B-3, tandis que l’ancien bassiste de Prince tire dans toutes les directions : funk, rock lourd, soul de bon aloi, avec un batteur-pieuvre qui multiplie les cadences avec ferveur. Plusieurs dizaines de jeunes musiciens s’engouffrent dans ce nouveau style hybride, urbain et novateur.

Puis la pluie s’est abattue sur la ville, le spectacle de 22 h a été annulé tandis que Nathaniel Rateliff, dans un autre registre, présentait les chansons de The Future avec The Night Sweats. Même truc : des chansons qui font du bien, un chanteur à la voix rocailleuse, des intentions vraies. Sauf qu’on a eu une succession de chansons mornes et sans saveur, des ballades à n’en plus finir, mauvais pacing ! Évidemment, il nous a balancé l’irrésistible Son of a Bitch (S.O.B.) à la fin, mais c’était trop tard.

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, LA PRESSE

Nathaniel Rateliff 

Le 6 juillet au Théâtre Maisonneuve, Robert Glasper a quelque peu erré dans un concert peu ambitieux avec son Black Radio III en pièce de résistance. Très bon chanteur, une voix douce et sensuelle qui plane bien dans un univers loin du jazz et plus près du soul indé, il ne peut plus compter sur l’effet de surprise de ses premières visites en chantre du hip-hop jazz, alors qu’il avait la même force de frappe au piano qu’un Cyrus Chestnut.

Avec sa personnalité incontestablement attachante, Gunhild Carling a survolé ses deux sets gratuits. Elle qui ne se soucie guère des modes et des courants, elle nous a subjugué en jouant trois trompettes à la fois, de la cornemuse, en dansant le charleston, en étant ce qu’elle est : une bête de scène de jazz d’autrefois. On va la revoir, c’est sûr !

Enfin, Bombino et sa guitare au soleil implacable et ses blues de Touareg nigérien nous a transporté, avec ses solos fragiles mais hypnotisants, c’était couru à la scène du Petit Parterre. La programmation gratuite était très relevée cette année. Dommage qu’on ne puisse être partout à la fois…