Rénovateur de l’afropop ancré à Montréal, Pierre Kwenders publie vendredi un album intitulé José Louis and the Paradox of Love. Des trois disques du chanteur originaire du Congo, c’est son plus doux et son plus intime. Portrait morcelé d’un touche-à-tout.

De José Louis à Pierre Kwenders

José Louis Modabi est né à Kinshasa, capitale du Congo, en 1985 et s’est installé à Montréal au tournant du millénaire. Ici, il est devenu Pierre Kwenders, c’est-à-dire un DJ (soirée Moonshine) et un auteur-compositeur pour qui la musique est un langage capable de traverser les frontières, de transcender les genres comme les cultures. Il chante en cinq langues, puise dans les musiques africaines (rumba, coupé-décalé, etc.) et emprunte autant à la pop qu’au rap ou à la house. « J’ai toujours eu ce désir de créer un pont entre tout ça, dit-il. Je suis né au Congo, où il y a de la guitare partout. En grandissant ici, j’ai découvert la musique électronique, d’autres sons et d’autres cultures tout court. C’est vraiment important pour moi de réunir ces mondes et ces gens qui m’inspirent. »

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PHOTO FOURNIE PAR LA COMPAGNIE DE DISQUES

Pierre Kwenders (José Louis Modabi) est né à Kinshasa, capitale du Congo, en 1985.

Tout en douceur

Plutôt que d’opter pour un choc de styles, des collages ou des juxtapositions, Pierre Kwenders propose plutôt des fondus. José Louis and the Paradox of Love est un album tout en douceur où les genres fusionnent sans aucune volonté d’en mettre plein la vue. L. E. S. (Liberté Égalité Sagacité), morceau d’ouverture qui dure plus de neuf minutes (et auquel collabore discrètement Win Butler, d’Arcade Fire), affiche à la fois des traits house et des rythmes coupé décalé (un style de musique ivoirien), mais aussi, en arrière-plan, des notes égrenées typiques de la rumba congolaise. La connexion se fait naturellement à nos oreilles. « Je pense qu’il ne faut jamais forcer les choses, dit le créateur, avoir une certaine tendresse dans tout ce qu’on fait, et c’est ce que j’ai voulu faire sur cet album. »

Pour les jeunes

Avec des partenaires, Pierre Kwenders s’affaire à mettre sur pied le Club Sagacité, un centre communautaire principalement destiné aux jeunes. « Ce sera très centré sur la musique », explique le chanteur, pour qui ce geste est une façon de « redonner à la communauté ». Le local, situé boulevard Saint-Laurent (« On veut que les jeunes sortent de leurs quartiers et découvrent Montréal », dit-il), donnera accès à de l’équipement d’enregistrement et à des formations de DJing, par exemple, un art que pratique aussi Pierre Kwenders. « On veut que ce soit accessible, explique-t-il. Ayant grandi à Cartierville, je n’ai pas eu d’endroit comme ça qui me permettait d’apprendre. » En plus d’offrir aux jeunes de se familiariser avec la technique, il souhaite faire partager ce qu’il a « appris sur le tas » au sujet des bourses et des subventions. « On veut rendre ça accessible, insiste-t-il, surtout aux jeunes des minorités visibles. »

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Pierre Kwenders lors du concert Kanaval Kanpe, au Métropolis, en mars 2017

Sagacité

Le mot « sagacité » occupe une place importante dans l’univers de l’artiste congolais. Ce n’est toutefois pas pour lui un synonyme de « finesse d’esprit », comme le dirait le dictionnaire. Dans la foulée de Douk Saga, musicien ivoirien créateur du style coupé-décalé, ce terme évoque plutôt le respect des autres et le partage. « C’était un mouvement pour réveiller la population, créé alors qu’il y avait la guerre civile en Côte d’Ivoire, raconte Pierre Kwenders. Douk Saga a réussi à travers sa musique à faire renaître la joie de vivre dans les cœurs, à donner l’espoir de jours nouveaux et meilleurs. C’est ce message que je souhaite aussi transmettre. »

Zaïre Space Program

Comme le Club Sagacité, qui se définit comme un espace multifonctionnel, Pierre Kwenders est « multi ». En plus de ses projets musicaux, il prépare actuellement avec Moonshine un documentaire intitulé Zaïre Space Program, tourné en Afrique pendant la pandémie et dont un court segment est déjà en ligne sur YouTube. L’idée est de braquer la caméra sur des artistes du Congo, mais aussi sur des gens qui travaillent dans la technologie. Encore une fois, l’objectif est d’éveiller, de faire réfléchir. Le segment en ligne montre le travail de Farata, un collectif qui fabrique ses costumes avec des matières recyclées et fait des performances dans les rues pour ouvrir le dialogue sur des sujets comme l’usage du plastique ou les soins de santé. Pierre Kwenders a aussi profité de l’occasion pour interviewer Jean-Baptiste Kekas, un ingénieur congolais qui fabrique des fusées avec des boîtes de lait et des composants électroniques récupérés. « C’est important, ce qu’il fait, estime le chanteur. Voir ce monsieur congolais qui crée une fusée, ça va peut-être faire rêver un jeune, l’inspirer à étudier en ingénierie lui aussi. »

José Louis and the Paradox of Love est offert dès vendredi. Pierre Kwenders sera au Centre Phi le 6 mai, et le 3 août en ouverture du festival Fierté Montréal avec Diane Dufresne.