«Si je suis féministe? Oui, je le suis! Je crois à la grande force des femmes. Je trouve très important qu'elles reçoivent le même soutien professionnel et la même reconnaissance que les hommes.»

Le pouvoir des femmes jamaïcaines, Etana connaît. Certes, ce pouvoir a émergé plus récemment dans l'espace public caribéen que dans les pays occidentaux, mais sa croissance n'en demeure pas moins inéluctable.

Adolescente, Shauna McKenzie étudiait au Broward Community College (en Floride) pour devenir infirmière, mais la musique l'emporta définitivement sur les sciences de la santé. Elle se joignit alors au girl group Gift et... le rêve ne fut pas aussi rose que prévu. Elle déchanta lorsqu'elle fut contrainte de porter des vêtements évocateurs des stéréotypes féminins, hyper sexués il va sans dire. Lorsqu'on lui imposa la lingerie de Victoria's Secret, c'en fut trop.

Elle abandonna Gift, rentra en Jamaïque. Quelques années passèrent avant que ne décolle sa vraie carrière en tant qu'Etana, soit en 2005 lorsqu'elle fut recrutée par le label Fifth Element. Depuis lors, la chanteuse de Kingston a accumulé plusieurs tubes et quatre albums.

«Lorsque j'ai commencé, se souvient-elle, jointe en tournée aux États-Unis, les chanteuses étaient confinées au bas des affiches des soirées reggae. Ce n'était vraiment pas évident de s'imposer. Avec mon imprésario, j'avais alors convenu qu'il fallait changer la perception des femmes dans le milieu musical, il nous fallait être traitées comme les égales des chanteurs masculins. Aujourd'hui, c'est tout de même mieux... Non seulement on voit plus de chanteuses évoluer au sein de la scène jamaïcaine, mais apparaissent aussi des femmes instrumentistes. Peu à peu...»

L'exploit dont Etana est le plus fière fut d'atteindre le sommet du palmarès jamaïcain avec l'album I Rise, paru en 2014.

«Ce fut accompli après plusieurs années d'efforts. Vous savez, ce parcours peut être frustrant pour une femme jamaïcaine», estime celle qui chante «I'm a strong Jamaican woman», phrase emblématique de son dernier opus.

Force est de déduire qu'Etana, aujourd'hui âgée de 33 ans, est maître de sa destinée, toujours très impliquée dans le processus de création et de réalisation.

«Les producteurs, compositeurs et paroliers avec qui je travaille savent que je dois approuver leur travail; je ne me fais rien imposer, nous devons tous être d'accord. Je dois être fière de tout ce que j'endosse et écris pour que cela devienne public. Il me faut toujours rester honnête avec mes collègues et moi-même.»

Humanisme spirituel

Etana refuse de se comparer à quiconque de sa profession, mais considère avoir combiné ses valeurs féministes avec un humanisme spirituel tout à fait compatible avec la mystique rastafari, fondement du roots reggae comme on le sait - assomption des racines africaines, vénération de l'empereur éthiopien Haïlé Sélassié, évocations judéo-chrétiennes, adhésion aux enseignements du «prophète» et militant Marcus Garvey.

«Au centre de ma musique, affirme-t-elle, on ressent l'élément spirituel et le désir de propager l'amour universellement. Ce sont, je crois, les valeurs fondamentales du reggae. Les sources de l'inspiration musicale sont mystiques, on ne sait pas vraiment d'où elle provient, elle vient de dimensions qui nous dépassent.»

Etana aime se voir surfer sur la vague new roots qui relance actuellement le reggae à l'échelle planétaire.

«Mon approche reste roots, souligne-t-elle, mais on y trouve plusieurs détails modernes. Les jeunes générations apportent au reggae leurs particularités, on les trouve dans les textes, dans les façons de jouer des instruments, dans la façon dont les riddims sont réalisés. Les racines du reggae en demeurent le fondement, mais le genre peut fusionner avec d'autres musiques d'aujourd'hui.»

Etana participe à cette actualisation, inutile de l'ajouter. «Je m'ouvre à d'autres styles sans négliger les fondements du reggae. Dans mes plus récents enregistrements, vous trouverez des éléments de pop, de R&B ou même de jazz. Au-delà de ces ajouts, j'écoute tous les genres de musique, pop, hip-hop, rock, country, etc. Une bonne chanson est une bonne chanson, quel qu'en soit le style.»

Le prochain album d'Etana est prêt, annonce-t-elle. Un premier extrait sera lancé cet automne et l'enregistrement complet sera rendu public au premier trimestre de 2018.

«Presque toutes les pistes ont été réalisées à Kingston. Il m'importe de rester inspirée par ma communauté artistique, la culture de mon peuple, sa nourriture, sa nature. Nouvelle énergie reggae? Bien sûr, mais cette nouvelle énergie reste celle du reggae originel, qui fait du bien à la planète depuis ses débuts.»

Etana, en spectacle dimanche, à 19h, au Festival international reggae de Montréal, dans le Vieux-Port