Devant l'effondrement de ses sources de revenus, l'industrie de la musique demande aux gouvernements provincial et fédéral de moderniser les lois et politiques culturelles afin de rétablir un équilibre qui permettra aux musiciens et entrepreneurs de survivre au nouvel environnement d'affaires numérique du milieu de la musique.

Le virage des consommateurs, qui délaissent massivement non seulement l'achat de CD, mais aussi de musique en ligne à la pièce dans des formules comme iTunes, au profit des abonnements sans achats - le «streaming» - à des services comme Spotify, s'est accéléré de façon exponentielle au cours des deux dernières années.

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«Les joueurs qui contrôlent l'accès (à la musique en streaming) ont des revenus en forte croissance, mais ceux qui sont à l'origine du produit musical, eux, sont de moins en moins bien rémunérés», a fait valoir jeudi à Montréal la directrice générale de L'Association québécoise de l'industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ), Solange Drouin.

L'ADISQ a ainsi présenté un plan d'action qui vise notamment à imposer aux distributeurs de musique en ligne des obligations semblables à celles qui existent dans le milieu de la radiodiffusion, affirmant que le temps des constats est passé, particulièrement celui des constats d'impuissance.

«On fait de l'enflure de la situation, que c'est donc épouvantable et qu'on ne peut rien faire. Ce n'est pas vrai. Il faut faire les choses une à la fois, faire un premier pas et après on en fera un deuxième, puis un troisième. Il faut commencer», martèle Mme Drouin.

Modifications législatives et réglementaires

L'industrie demande de mettre fin à l'exemption réglementaire accordée aux services de musique en ligne à la fin du siècle dernier par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC), alors que rien ne laissait présager l'émergence du phénomène de streaming.

«Ces services-là sont clairement de la radiodiffusion au sens de la loi», a indiqué Mme Drouin en entrevue téléphonique.

L'ADISQ demande aussi à Ottawa de modifier la loi sur le droit d'auteur pour rétablir le régime de copie privée, cette redevance qui était imposée sur les cassettes et CD vierges et que l'on voudrait maintenant voir imposée sur les ventes d'appareils servant au streaming, tels les téléphones intelligents.

L'Association demande de plus que les tarifs de droit d'auteur soient révisés et qu'ils s'appliquent aux diffuseurs numériques comme c'est le cas pour les stations de radio.

Elle souhaite également que les fournisseurs d'accès internet soient soumis à des obligations de contribuer au développement de contenu, tout comme les services de streaming, et que ces derniers soient aussi contraints à une mise en valeur de contenus locaux et aux règles fiscales canadiennes et québécoises de financement des mesures culturelles.

«Ces services devraient payer une partie de leurs impôts ici quand ils rendent un service ici», a soutenu Mme Drouin, ajoutant que leur statut leur offre un avantage déloyal face aux acteurs locaux de l'industrie.

«Nous, quand on rend un service, on paie la TPS et la TVQ sur tout. Ça n'a pas d'allure», déplore-t-elle.

Soutien de l'État de 15 millions

Par ailleurs, l'ADISQ réclame de Québec un programme d'aide temporaire de 7,5 millions de dollars par année durant deux ans, dont 6 millions seront consacrés à l'amélioration de la visibilité des artistes sur toutes les plateformes, la diversification des revenus, l'exportation et le soutien à la présence des artistes en région.

L'autre 1,5 million serait consacré à la valorisation des contenus.

Les représentants de l'industrie se défendent, par ailleurs, de vouloir vivre aux crochets de l'État, faisant valoir que, contrairement à certains secteurs culturels financés jusqu'à 90 % par l'État, l'industrie de la musique génère 84 % de ses revenus de façon autonome à partir de ses ventes.

Les ventes s'étant effondrées, les revenus des producteurs de musique se sont évidemment rétrécis comme peau de chagrin.

À titre d'exemple, le quotidien Le Devoir faisait état la semaine dernière de revenus en droits d'interprète d'un peu moins de 30 $ pour l'auteur-compositeur-interprète Jean Leloup pour 540 000 écoutes de sa chanson Paradis City sur Spotify.

L'ADISQ estime que sa demande s'inscrit dans une logique de soutien au démarrage, puisqu'elle doit «redémarrer» dans un environnement où les ventes de ses produits ont cédé le pas à une distribution sans ventes par des géants du web qui s'accaparent des revenus et ne remettent que des grenailles à ceux qui produisent le contenu.

Mélanie Joly s'en remet à ses consultations

À Ottawa, la ministre du Patrimoine, Mélanie Joly, a dit sympathiser avec la situation des acteurs de l'industrie de la musique, mais a refusé de répondre à l'urgence invoquée par l'ADISQ, invitant plutôt celle-ci à participer au processus de consultation qu'elle a mis sur pied pour se pencher sur le soutien aux industries culturelles canadiennes dans l'environnement numérique.

«La réalité, c'est que nous avons un processus de consultation et j'espère vraiment qu'ils vont saisir cette opportunité-là», a-t-elle déclaré aux Communes, notant que les consultations se déplaceront à Montréal le 28 octobre.

La ministre Joly a cependant rappelé que les musiciens ne sont pas les seuls aux prises avec des difficultés liées à l'usage de contenu par des géants du web qui en tirent désormais les profits au détriment de ceux qui les produisent.

«Ces enjeux-là sont dans toutes les industries culturelles et tout le monde de l'information», a-t-elle fait valoir.