Une femme veut se délester de son passé, jette à la mer les documents qui ont marqué sa vie : photos de famille, lettres, coupures de journaux, certificats divers.

Sur cette plage de la côte Est américaine, des témoins de la scène ramassent ces vestiges d'une vie éclatée, les empilent hors de portée des marées. Sans but précis, par pudeur probablement, un homme qui lui-même se cherche une voie nouvelle rapporte le tout chez lui. À Longueuil.

« Pendant trois ans, je n'ai pas touché à ça », nous dira Michel Cusson, rencontré cette semaine à l'occasion de la sortie de Solo, disque dont il livrera le contenu pas plus tard que le 11 février au Lion d'or.

Le guitariste et compositeur tient dans ses mains deux sacs contenant chacun une trentaine de documents qui ont déjà été des photos qui, sous l'action de l'eau de mer séchée et de leur empilement, se sont transformées en autant de fresques aux motifs et textures uniques. On parlerait d'oeuvres d'art si la nature portait en elle quelque intention artistique. « Un graphiste japonais n'aurait pas pu faire mieux », sourit Michel Cusson en manipulant avec le plus grand soin ce qui a fini par constituer la partie visuelle de son spectacle Solo... qui pourrait tout aussi bien s'appeler Perso.

« Depuis sept ans, je cherchais une façon d'être personnellement plus présent dans ma propre musique », dit Michel Cusson.

« En réécoutant mes compositions, je me suis rendu compte que certaines avaient mal vieilli, poursuit le musicien. Je ne renie rien, mais je sentais que je devais trouver des choses plus fidèles à ce que je suis. »

L'ancien frontman d'UZEB envoyait ses maquettes au compositeur et réalisateur Kim Gaboury qui, sous le nom d'aKido, a entre autres signé les musiques de La Maison du pêcheur, 30 vies et Coteau rouge. Homme de peu de mots, aKido retournait les maquettes marquées d'émoticônes rouges, jaunes ou vertes.

Cusson a « gardé les bonhommes verts, retravaillé les jaunes » et suivi le conseil de l'autre d'y aller solo... et « guitar only ». « Dans les loops, il n'y a que des sons de guitare travaillés », précise le sonorisateur Philippe Beaudoin, qui, avec son collègue programmeur Francis Létourneau, a participé à la miniaturisation de l'impressionnant tableau de pédales dont se sert Michel Cusson dans ses prestations - il a joué deux extraits à l'intention de La Presse - impressionnantes à tous égards.

Il y a les échantillonnages, oui, avec la basse et tout, mais il y a surtout un grand guitariste qui semble avoir trouvé le filon où il peut se révéler tant comme homme que comme musicien.

« Il y a beaucoup de musiciens qui font des loops hallucinantes », dira encore Michel Cusson, qui, à 59 ans, en a écouté de toutes sortes. « Mais avec des images intégrées comme je le fais, on est moins nombreux... »

AVEC UN PEU D'AIDE DE SES AMIS

Pour les images, Michel Cusson s'est aussi bien entouré... de gens d'images. Quand on peut faire valider ses idées et recevoir les suggestions de créateurs de la trempe du cinéaste François Girard et du dramaturge Serge Lamothe, acclamés sur deux continents pour leur Parsifal...

« Je leur ai montré les photos de la plage et ils m'ont dit : "Tu ne connais pas cette femme. Sers-toi de ce corpus pour te raconter, toi..." Jusqu'ici, j'avais toujours mis de la musique sur des images », rappelle le guitariste en évoquant ses collaborations à la télé et au cirque, avec Cavalia, notamment. « Pour ce projet, j'ai fait le contraire : j'ai mis des images sur ma musique, un processus très différent. »

Du résultat, on peut dire d'emblée que l'intégration son et image atteint un champ nouveau, laissant toute liberté au voyagement intérieur tant de l'artiste au « projet ouvert » que des spectateurs qui apprécieront le risque de l'improvisation.

Quant à Michel Cusson « créateur de vibrations », on verra qu'il est encore pas mal seul de son groupe... Solo, en fait.