Coup de théâtre dans l'univers des médias. La CBC a annoncé dimanche en début d'après-midi qu'elle mettait fin au contrat qui la liait à Jian Ghomeshi, animateur de l'émission quotidienne Q. L'immense vedette au Canada anglais a répliqué en annonçant qu'il allait déposer lundi matin une poursuite de 50 millions contre la société d'État. «La décision a été prise après de sérieuses délibérations et beaucoup de considération, a précisé le diffuseur public dans un communiqué. Des informations sont venues à notre connaissance qui, à notre avis, nous empêchent de poursuivre notre relation avec Jian Ghomeshi.»

Mais ce qui semblait être la plus grosse histoire médias des dernières semaines s'est transformée en affaire beaucoup plus personnelle lorsque l'animateur a riposté quelques heures plus tard sur sa page Facebook pour donner sa version des faits: «J'ai été congédié parce qu'il y avait un risque que ma vie sexuelle soit rendue publique à la suite d'une campagne de salissage que mènent une ex-petite amie et une journaliste pigiste», a expliqué l'animateur de 47 ans.

Dans cette lettre qu'il adresse à son public, Jian Ghomeshi révèle des détails très intimes de sa vie personnelle. Adepte de bondage, de sadomaso et de jeux de rôles sexuels basés sur la domination, il explique qu'il entretenait il y a deux ans une relation avec une jeune femme âgée dans la fin de la vingtaine, une relation consensuelle et respectueuse, prend-il la peine de préciser. Or, affirme-t-il, la jeune femme aurait mal réagi lorsqu'il a mis fin à la relation et aurait voulu se venger en faisant circuler la rumeur qu'elle avait été agressée. Avec une journaliste-pigiste, elle aurait en outre mené une campagne pour détruire la réputation de M. Ghomeshi. Il ajoute qu'il n'y avait aucun doute dans l'esprit de ses patrons que la relation était consensuelle. «Mais, ajoute l'animateur, on me dit que ce type de pratiques sexuelles est incompatible avec le statut d'animateur-vedette de la CBC. En d'autres mots on me renvoie pour ce qui se passe dans ma chambre à coucher.»

Jian Gomeshi, qui ne faisait l'objet d'aucune plainte au moment d'écrire ces lignes, doit déposer une poursuite de 50 millions ce matin contre son ex-employeur pour dommages punitifs, abus de confiance et mauvaise foi.

Joint par La Presse dimanche soir, le porte-parole de la CBC, Chuck Thompson, n'a pas voulu commenter davantage les propos de son ancien employé sur Facebook. «Étant donné la poursuite que M. Ghomeshi s'apprête à déposer, nous ne pouvons pas commenter ses propos sur Facebook», a-t-il déclaré.

Les réseaux sociaux s'emballent

Toute cette histoire a débuté vendredi lorsque la CBC a publié un premier communiqué confirmant que Jian Gomeshi était en arrêt de travail pour «une période indéterminée». L'animateur n'était pas à son micro vendredi matin.

Les médias torontois faisaient référence à la mort récente de son père (Jian Ghomeshi avait d'ailleurs publié un texte à ce sujet dans le Globe and Mail le samedi précédent). Plusieurs ont pensé que l'animateur d'origine iranienne éprouvait un immense chagrin ou qu'il souffrait peut-être d'une dépression. En fin de journée vendredi, le principal intéressé a rassuré ses fans en écrivant ceci sur Twitter: «Merci à tous pour vos bons voeux. Je vais bien. Je prends seulement un peu de temps pour moi.»

Mais ce départ, qui semblait anodin vendredi, s'est transformé en véritable crise dimanche. Non seulement la CBC ne voulait pas commenter davantage sa décision, mais le critique médias Jesse Brown déclarait ceci sur Twitter: «Ce que j'ai appris à propos de Jian Ghomehsi à la suite des mois d'enquête sera rapporté de manière responsable le plus tôt possible. Je vous prie d'être patient.»

Il n'en fallait pas plus pour que la machine à rumeurs s'emballe sur les réseaux sociaux. Plusieurs, dont le site Gawker - le même qui a révélé l'existence d'une vidéo montrant le maire de Toronto Rob Ford fumant du crack - ont fait circuler un blogue paru en juin 2013 et écrit par une jeune journaliste pigiste (celle à laquelle fait référence M. Ghomeshi dans son statut Facebook?). Dans ce texte, la jeune femme raconte une soirée qui a mal tourné en compagnie d'«un animateur-vedette du Canada» qui l'a harcelée sexuellement. Il nous a été impossible de la joindre pour avoir plus de détails.

Appel à une firme de relations publiques

Jian Gomeshi a embauché la firme de relations publiques Navigator pour l'aider à gérer cette crise. Son grand patron, Jaime Watt, participe régulièrement au panel de discussion «The Insiders» de l'émission The National animée par Peter Mansbridge sur les ondes de CBC. Employé à l'emploi de la CBC depuis près de 14 ans, M. Ghomeshi anime le magazine culture et société Q depuis huit ans. C'est de loin l'émission la plus écoutée au pays. Il est également l'auteur de 1982, un récit autobiographique publié en 2012. M. Ghomeshi devait animer la remise des prix littéraires Giller le 10 novembre prochain, mais les organisateurs de l'événement ont annoncé que sa participation avait été annulée, suscitant plusieurs commentaires négatifs dans les réseaux sociaux de la part de ses fans qui estiment que leur animateur préféré est injustement traité dans toute cette affaire. On en saura davantage à la publication de l'enquête du Toronto Star.