Édith Piaf et Billie Holiday, qui se sont sorties de la misère et ont transcendé leurs drames personnels pour devenir les grandes chanteuses que l'on sait, auraient toutes deux eu 100 ans cette année. Deux spectacles du Festival de jazz rendent hommage à ces femmes qui, même si elles ont triomphé des deux côtés de l'Atlantique, ne se sont jamais croisées.

Une enfance difficile

Billie Holiday, née Eleanora Fagan le 7 avril 1915 à Philadelphie, est morte à 44 ans, le 17 juillet 1959. Édith Giovanna Gassion, qu'on appellerait Piaf, a vu le jour le 19 décembre 1915 à Paris et a rendu l'âme à 47 ans le 10 octobre 1963. Holiday était fille de guitariste de jazz, tandis que Piaf avait un père artiste de cirque et une mère chanteuse de rue.

Enfants, elles ont connu la misère et l'abandon. Elles ont toutes deux été exposées à la prostitution très jeunes et Holiday dira même que c'est dans un bordel qu'elle a fait la découverte du « bon jazz ».

Leurs existences hors normes ont été racontées maintes fois, notamment au cinéma dans Lady Sings the Blues (1972), pour lequel la chanteuse Diana Ross a été finaliste pour l'Oscar de la meilleure actrice, et La vie en rose (2007, intitulé La Môme en France), qui a valu à la Française Marion Cotillard l'Oscar tant convoité.

Les drames

Piaf et Holiday sont mortes jeunes, diminuées par l'abus d'alcool et de drogue. Piaf consommait de la morphine pour apaiser la douleur, tandis que Holiday a abusé de drogues dures de toutes sortes qui lui ont valu des arrestations, une incarcération et une interdiction de chanter dans les boîtes de New York pendant plusieurs années.

L'une et l'autre ont multiplié les échecs amoureux et vécu avec des hommes qui les ont blessées. L'un des amants de Billie Holiday, le trompettiste Joe Guy, était son fournisseur de drogue. Piaf, elle, croyait avoir enfin trouvé l'homme de sa vie en la personne du boxeur Marcel Cerdan quand l'avion qu'il avait pris pour aller la retrouver à New York s'est écrasé le 28 octobre 1949.

L'ombre de la tragédie

Le destin tragique des Piaf et Holiday a trop souvent occulté leur contribution artistique, ont déploré non sans raison leurs admirateurs. Mais en cette année où elles célébreraient leurs 100 ans, force est de constater que leur influence artistique transcende leurs malheurs. La chanteuse irlandaise Imelda May affirmait récemment qu'en cette ère où les petits drames des chanteurs des concours télévisés servent à faire mousser leur carrière, il faudrait se rappeler que Piaf et Holiday ne passaient pas leur temps à parler de leurs ennuis. Mais on ne peut nier que les turbulences de leur existence ont contribué aux personnages tristes et tragiques qu'elles se sont composés sur disque comme sur scène et qu'elles ont nourri leur musique et donné encore plus de profondeur à leur manière unique de chanter.

Les battantes

Billie Holiday a dû se battre contre le racisme quand elle chantait dans l'orchestre d'Artie Shaw. Une chanteuse noire parmi des musiciens blancs, ça ne se voyait pas à l'époque, surtout dans le sud des États-Unis. Il en fallait du courage pour chanter Strange Fruit, qui traitait du lynchage des Afro-Américains, et en faire un énorme succès. Comme Piaf, elle s'est imposée dans un monde d'hommes, et les chefs d'orchestre qui ont travaillé avec elle, dont Count Basie, ont confirmé que personne ne pouvait lui dire comment chanter ni comment orchestrer ses chansons.

Piaf a été à elle seule une véritable école de la chanson française. On ne compte plus les chanteurs et auteurs ou compositeurs qu'elle a pris sous son aile et qu'elle a encouragés à aller plus loin, d'Yves Montand à Georges Moustaki en passant par Charles Aznavour et même Claude Léveillée. Quelques-uns d'entre eux ont partagé son lit et se sont ajoutés à la longue liste des hommes qui l'ont abandonnée.

Leur héritage

« Piaf, c'est notre blues à nous! », a dit le guitariste Sylvain Luc qui vient lui rendre hommage au Festival de jazz. Encore aujourd'hui, elle occupe une place à part au panthéon de la chanson française. Grâce à cette voix qui vient du coeur et qui savait comme nulle autre véhiculer toute la gamme des émotions, mais aussi à son sens inné de la théâtralité et son flair exceptionnel en matière de chansons.

Holiday, elle, a révolutionné l'art de chanter, jouant de sa voix comme d'un instrument de jazz. Son sens du rythme et le phrasé unique de Lady Day ont marqué les plus grands interprètes, dont Frank Sinatra.

Enfin, on oublie trop souvent que ces deux grandes interprètes ont écrit elles-mêmes bon nombre de chansons dont certaines sont aujourd'hui considérées comme des immortelles, notamment La vie en rose de Piaf et God Bless the Child de Holiday.

Les hommages

>>> Dimanche soir

Au Festival de jazz, la chanteuse canadienne Molly Johnson donne dimanche soir à 18 h au Club Soda son spectacle Because of Billie qui fait suite à l'album du même nom.

>>>Mardi

À 22 h 30, au Gesù, l'accordéoniste français Richard Galliano et son compatriote guitariste Sylvain Luc reprendront des musiques de Piaf et de l'accordéoniste Gus Viseur qu'ils viennent de graver sur disque. Galliano s'était joint à Wynton Marsalis en 2008 à Marciac pour rendre un hommage en musique à Piaf et Holiday dont témoignent un album et un DVD.

>>>Jeudi

À 20 h, au Théâtre Maisonneuve, on pourra voir la chanteuse franco-américaine Madeleine Peyroux, dont la voix rappelle celle de Billie Holiday et qui a repris La vie en rose de Piaf sur son tout premier album.

Rappelons que le spectacle Vive la Môme!, créé aux FrancoFolies, sera repris au Québec en novembre et que Cassandra Wilson a lancé récemment un album hommage à Holiday intitulé Coming Forth by Day.