Trois mots nous viennent en tête lorsqu'on évoque le nom de Ben E. King: Stand By Me, chanson immortelle qui ne lui appartient plus, soutient le vétéran auteur-compositeur-interprète originaire de Harlem. Ce témoin privilégié de cette époque où le rhythm & blues était le genre préféré des jeunes mélomanes américains passe demain par le Théâtre Maisonneuve.

La genèse de cette grande chanson est une histoire en soi, foi de Ben E. King, homme charmant et raconteur passionné. Une histoire fascinante, car ce classique a presque été mis aux poubelles...

«Pour composer cette chanson, je me suis inspiré de Sam Cooke, une de mes voix préférées, raconte monsieur King. Lorsqu'il chantait avec son groupe gospel The Soul Stirrers, il avait un succès qui s'appelait Lord Stand By Me. Je lui ai piqué le titre, et j'ai commencé à composer des mots à partir de là, en écoutant mon coeur. Mais lorsque j'ai fini de l'écrire, je ne pensais pas que c'était une si bonne chanson que ça.»

À cette époque, en 1961, Ben E. King avait déjà quitté le groupe qui l'a mis au monde, The Drifters, dans des conditions impensables aujourd'hui (nous y reviendrons). «Pourtant, j'avais quand même offert la chanson aux Drifters, poursuit-il. Ils l'ont essayée, l'ont chantée devant moi, dans le bureau du manager. Je croyais que c'était réussi, mais ils n'en ont pas voulu.»

King, lui, fomentait déjà son retour sur disque et sur scène, en solo, après trois ans passés, d'abord au sein d'un groupe de doo wop, puis avec les «nouveaux Drifters». Pour ses premiers enregistrements solo, il faisait affaire avec les légendaires compositeurs et arrangeurs Jerry Leiber et Mike Stoller, qui bossaient déjà avec les Drifters (et avec Elvis avant eux, entre autres grands de la pop).

Bref, ce jour-là, Ben E. King enregistrait une autre chanson, un autre de ses classiques, Spanish Harlem. La session allait rondement, si bien qu'il restait du temps à la fin. «Jerry et Mike m'ont demandé: "T'as une autre chanson qu'on pourrait essayer pendant que les musiciens sont encore ici?" Ils croyaient que Stand By Me était une bonne chanson, ont travaillé un peu dessus, rappelé les musiciens en studio, donné les instructions pour les arrangements, puis on l'a enregistrée, comme ça.»

Comme ça, Stand By Me, un bijou de soul-pop, a traversé les époques, à la faveur des innombrables reprises par des artistes aussi variés que U2, Lady Gaga (en concert) ou Pennywise. «Ma version préférée? Wow... Il y en a tellement. Celle de David Ruffin. Et bien sûr celle de John Lennon, fantastique.»

Stand By Me a bien sûr éclipsé tous les autres succès de Ben E. King - qui se souvient de son hit disco, Supernatural Thing part 1? -, mais l'homme ne regrette pas le fardeau que peut devenir une chanson aussi immense. Serein, il garde même de bons souvenirs de son passage à la tête des Drifters, même du manager à la poigne de fer, George Treadwell, qui avait carrément acheté la «marque» Drifter du fondateur Clyde McPhatter. McPhatter, mari de la chanteuse jazz Sarah Vaughan, s'est bien rempli les poches avec le populaire groupe; tous les chanteurs étaient ses employés, et l'alignement partant des Drifters a souvent changé lorsque les vedettes réclamaient une meilleure paye...

«J'ai pris la place de Bill Pinkney», rappelle King, découvert par un producteur qui l'a entendu chanter au commerce familial. «Nos premiers concerts avec les nouveaux Drifters étaient difficiles: les fans, déçus de ne pas voir les chanteurs qu'ils aimaient, nous criaient des insultes! On a dû gagner leur coeur succès par succès...»

King a écrit les plus importants de l'histoire du groupe, dont There Goes My Baby et Save the Last Dance for Me. Puis, ses collègues et lui ont demandé une augmentation de salaire. «Les gars m'ont demandé de parler au manager. Nous étions tous là, dans son bureau, lorsque j'ai demandé une meilleure paye. Il m'a répondu: «Si vous n'êtes pas content, vous n'avez qu'à partir.» Je suis sorti... mais les autres sont restés dans le bureau. J'avais le choix d'y retourner et de m'excuser, ou de refaire ma carrière tout seul.»

Je crois que Ben E. King a pris la bonne décision.

Ben E. King, au Théâtre Maisonneuve, demain à 21h30.