Le tableau de famille est pour le moins surprenant. On y retrouve Marc Beaupré et son Caligula (remix), le chorégraphe Frédérick Gravel (Gravel Works), le performeur Martin Messier et son Sewing Machines Orchestra, la chorégraphe Katie Ward, mais aussi des vedettes confirmées de la scène comme Marie Brassard et Louise Lecavalier. Entre autres. Comme le titrait le 16 mars Le soir de Bruxelles, «toute la gang de Montréal descend sur Mons et Maubeuge».

Drôle d'endroit pour un festival artistique haut de gamme. Surtout dans un pays comme la France où, à de rares exceptions près, la création de qualité et de prestige se concentre à Paris. Maubeuge est une petite ville de 35 000 habitants située dans le Nord de la France, à 10 kilomètres de la frontière belge.

Dans ce lieu passablement déshérité, un certain Didier Fusillier a réussi à monter en un quart de siècle un centre théâtral qui fait référence dans le domaine du théâtre international d'avant-garde et des arts électroniques. Son festival a droit à une couverture substantielle dans la presse «nationale», ce qui constitue un exploit pour un événement «provincial».

Depuis sa base de départ, Fusillier a élargi son territoire. En 1993, il a pris la direction de la Maison des arts de Créteil, une scène de la région parisienne importante, mais jusque-là peu prestigieuse. Dans sa ville natale, son Manège a opéré la jonction avec un théâtre du même nom à Mons, la ville belge voisine. Depuis 10 ans, son festival du printemps - renommé VIA - s'appuie donc à la fois sur Maubeuge, Mons et Créteil.

Entre-temps, Didier Fusillier est devenu une sorte de grand manitou de la culture à Lille, dont l'agglomération urbaine dépasse le million d'habitants. Un homme d'influence qui, dès les premières années, avait su attirer la presse culturelle parisienne. Il a énormément contribué, à partir de 1990, à faire connaître Robert Lepage en France. Louise Lecavalier et quelques autres lui doivent en partie leur carrière française.

Des visiteurs influents

Se faire inviter à Maubeuge, c'est donc une petite consécration pour de jeunes créateurs. Et une occasion de percer. La semaine dernière, la journée du mercredi était plus ou moins réservée aux professionnels, français et étrangers: des directeurs de festivals italiens ou britanniques, des organisateurs de tournées en France, etc.

L'impact est d'autant plus important lorsque l'invitation vaut également pour Créteil, qui met à son programme certains spectacles de Maubeuge-Mons. Cette année, c'était le cas pour Gravel Works, Caligula Remix et Rock Steady de Katie Ward. Le résultat ne s'est pas fait attendre. Frédérick Gravel a eu droit aux honneurs du Monde: «L'une des plus réjouissantes soirées de danse qu'on ait vues depuis longtemps.»

L'influent hebdo culturel Télérama, lui, mettait en vedette le Caligula Remix de Marc Beaupré, «qui met en scène la pièce dans un rituel qui aurait plu à Camus».

Programmation exigeante

«Le défi, explique Fusillier en interview, c'est d'offrir une programmation nouvelle et pointue, et en même temps de satisfaire le public de Maubeuge.»

Les standards restent élevés: les spectacles les plus «grand public», si l'on ose dire, sont ceux de Marie Brassard (Moi qui me parle à moi-même dans le futur) ou de Louise Lecavalier, une habituée des lieux devenue vedette locale. Mercredi, des spectateurs parfois perplexes ont découvert le one man show de cirque poétique signé Patrick Léonard.

Bilan public: les salles de spectacles sont pleines à 90% et le festival attire 15 000 spectateurs en dix jours. Un joli exploit pour une programmation qui reste exigeante.

Cette année, le clou de l'événement n'était pas sur scène, mais en marge des spectacles. Il s'agit d'une exposition intitulée Low Tech, où des objets démodés ou rustiques créent des effets sensoriels, auditifs et visuels étonnants. Un Américain, Bernie Lubell, construit de grandes machines à communiquer en contreplaqué. Une Hollandaise, Nicky Asman, nous offre des visions psychédéliques à partir de traitement de lessive liquide. Quant au plasticien montréalais Martin Messier, il a inventé un poème symphonique à partir d'une vingtaine de vieilles machines à coudre Singer. Low Tech a eu droit à deux pleines pages dithyrambiques dans Libération et à des commentaires élogieux dans tous les médias dits de référence.

En ce début de printemps, le festival VIA était de nouveau le lieu où il fallait être. Et la nouvelle scène montréalaise en était la vedette.