D'abord une confession: je n'étais pas censée aller voir Valérie Blais faire ses débuts de stand-up comic au Club DIX30. C'était la consigne donnée à son attachée de presse: aucun média dans la salle. J'y suis allée malgré tout, un petit samedi soir frileux du début du mois d'avril. J'ai vu Valérie Blais s'avancer seule sur scène, pas toute nue mais sans le sacro-saint quatrième mur qui, au théâtre, fait écran entre les acteurs et le public.

Elle portait des jeans et des espadrilles et n'avait, ce soir-là, que deux autres représentations dans le corps. La salle était pleine. Je me suis réfugiée au balcon, ni vue ni connue. Je n'étais pas là pour la juger, sachant que ce que je verrais ce soir-là risquait, au fil des mois et avant sa grande première au théâtre Outremont en juin, d'être transformé au point d'en être méconnaissable. J'étais là pour assister à la naissance d'une comique.

Elle a fait quatre numéros dont un très réussi sur les générations. Je n'ai pas été déçue. Valérie Blais, alias Miss Home Depot et alias Miss Weight Watchers, a tout le potentiel du monde pour devenir une formidable humoriste. Ou mieux encore: la Lise Dion des intellos.

Quelques jours plus tard, alors que nous prenons place à la cafétéria de La Presse, je lui pose la question: la Lise Dion des intellos? Ça te dérange ou ça te fait plaisir?

Valérie Blais, qui est beaucoup moins abrasive en privé qu'en public, me lance un sourire entendu suivi d'un silence qu'elle finit par rompre: «Quand j'ai commencé à travailler avec Josée Fortier, la metteure en scène de mon spectacle, la première chose qu'elle m'a dite, c'est: surtout, ne va pas te comparer à Lise Dion, tu ne lui arrives pas à la cheville. Bien franchement, j'ai aimé ça que Josée me garde les pieds sur terre et m'empêche de trop me faire d'illusions. C'est la seule façon d'avancer.»

Pourtant, des illusions, Valérie Blais en a cultivé un jardin complet. Sortie de l'École nationale de théâtre à l'âge précoce de 21 ans, convaincue qu'elle était une grande tragédienne et la future Sylvie Drapeau, elle s'est vite butée à un mur: le sien et celui du milieu.

«J'ai choké. J'avais 21 ans, j'avais peur du métier, peur des auditions. J'aurais préféré faire huit autres années à l'École nationale. À la place, je suis allée travailler en garderie, puis je me suis mise à enseigner le théâtre au secondaire en devenant full frustrée avec le temps. Je voyais les gens de ma promotion: tous avaient une carrière sauf moi.»

Mais Valérie Blais ne perdait rien pour attendre. Même si elle n'était pas la muse des metteurs en scène, même si ses rondeurs n'en faisaient pas automatiquement une jeune première, elle a fini par faire son chemin. À 30 ans, elle a enfin eu sa première chance grâce à l'émission pour enfants Cornemuse. Pourtant, les producteurs ne voulaient même pas la voir en audition. Ils n'ont accepté que pour faire plaisir à son agent.

«Je suis arrivée la face beurrée comme ça ne se pouvait plus pour faire Rafi le raton laveur. J'y ai mis tout ce que j'avais appris en garderie avec les enfants et j'ai eu le rôle. J'avais 30 ans. Ma carrière venait enfin de commencer.»

C'était évidemment avant la série Tout sur moi qui, des années plus tard, allait la propulser dans les foyers québécois avec ses répliques assassines, sa mauvaise humeur et sa rage comique aussi divertissante qu'explosive. On peut dire que c'est vraiment dans Tout sur moi que Valérie Blais est née aux yeux du grand public, qui découvrait non pas une grande tragédienne, mais une actrice au potentiel comique inattendu.

D'autres l'avaient vu bien avant. En 2003, Lucie Rozon, de Juste pour rire, avait déjà remarqué cette drôle de bonne femme dans le spectacle Appelez-moi maman. Elle avait dû l'aimer parce que l'année suivante, elle a jumelé Valérie Blais avec la reine, Dominique Michel. Rien de moins. «J'ai adoré travaillé avec Dodo, qui est devenue ma marraine, mon amie, et que je consulte encore régulièrement.»

Dodo a non seulement «coaché» Blais, elle a aussi signé la mise en scène du Démon du midi, un one woman show où Valérie monologuait pendant une heure sur le vieillissement. Elle était encore en mode théâtre et séparée du public par le quatrième mur, mais c'était un début.

«Déjà, à ce moment-là, Dodo voulait que je fasse du stand-up comic, mais je n'étais pas rendue là. J'avais encore des rêves de tragédienne qui ont fini par prendre le bord en crisse!»

La nuit des rois, montée au TNM en 2003, sera un tournant à cet égard. «C'est là que j'ai compris la vraie différence entre les acteurs qui faisaient de la télé et ceux qui ne faisaient que du théâtre. Les acteurs de télé arrivaient en voiture, ceux du théâtre, en vélo et allaient s'acheter un panini à midi au lieu d'aller au resto. J'étais une pure et dure du théâtre, mais, en voyant mes camarades crever de faim, j'ai commencé à déchanter.»

La valeur du travail

Peu de temps après, Valérie Blais se joint au comité de l'Union des artistes qui milite pour que les répétitions au théâtre soient payées. La négociation est longue et difficile. «Je me suis vue en train de quêter 15 $ à des producteurs qui refusaient de reconnaître la valeur de notre travail. Quand c'est rendu que le salaire des acteurs d'une production ne fait même pas 10 % du budget, c'est que tu ne vaux pas cher. Cette négociation m'a tuée. On dirait que je ne me suis jamais complètement remise de ma déception. J'avais aimé le théâtre comme une folle, mais là, soudainement, je ne l'aimais plus.»

L'idée de devenir humoriste a lentement fait son chemin chez elle avant d'être freinée par une maternité tardive. Valérie Blais avait 42 ans lorsque sa fille est née. Trois ans plus tard, elle se sent prête à repartir à neuf et à aller jouer dans les platebandes des humoristes.

«Moi, ce que je veux, c'est prendre mon pied sur scène tout en parlant à la première personne de choses qui m'intéressent et m'interpellent comme la maternité, le bénévolat, les grosses. Je ne fais pas ça pour l'argent; je fais ça pour que les gens rient et qu'ils aient du plaisir. Il n'y a rien de plus tripant que de faire rire les gens.»

Valérie est consciente qu'elle fait un grand saut dans l'inconnu, mais elle se dit rassurée par ceux qui l'entourent. «J'ai fait 16 ans de psychanalyse pour apprendre comment bien m'entourer. Je pense que j'y suis enfin arrivée. Je ne sais pas où tout cela va me mener, mais je suis prête à y aller.»

Valérie Blais avoue dans le même souffle que pas une semaine ne passe sans qu'elle ne regarde les annonces pour les postes en garderie, histoire de garder les deux pieds sur terre. Pour le reste, il y a Dodo et ceux qui croient en elle et qui, depuis quelques mois, sont de plus en plus nombreux.