Imaginez un spectacle qui commence par quelques vers de Rimbaud et se termine par un emprunt à Renaud, deux heures d'une musique qui respire l'Amérique avec des textes bien français, et un chanteur de bientôt 83 ans trempé de sueur sous sa veste de cuir mais qui aurait sans doute pu continuer pendant une bonne demi-heure.

Le retour d'Hugues Aufray après 17 ans d'absence des scènes montréalaises, mardi au Théâtre Maisonneuve, c'était tout cela et plus encore. Un moment privilégié avec un monsieur d'une vigueur remarquable qui multiplie les anecdotes et les commentaires sur son long parcours artistique, ses valeurs et son attachement à ce Québec qu'il désespérait de revoir un jour et qui est un peu sa «deuxième terre».

J'ai eu comme une petite crainte quand il a commencé par une enfilade de chansons américaines traduites il y a longtemps pour ses compatriotes qui n'entendaient rien à l'anglais: beaucoup de Dylan évidemment, mais aussi du Chuck Berry, du Hank Williams, et des chansons folk comme J'entends siffler le train (500 Miles) qu'il se réapproprie un demi-siècle après se l'être fait chiper par son éditeur. Le paysage musical était tout à fait conséquent et convaincant, dessiné par les guitares, la lap steel, la pedal steel, le violon, la mandoline et la batterie de ses quatre acolytes.

Mais plus encore que le premier véritable ambassadeur de la musique américaine en France, c'est le chanteur français qui a imposé son propre répertoire au Québec qu'on avait hâte de retrouver. Après un Poinçonneur des lilas de Gainsbourg à saveur country-western, Aufray a donné congé à ses musiciens, il a entrouvert sa veste de cuir, a empoigné sa guitare acoustique et s'est assis sur son tabouret pour une séquence où la magie de ses chansons a commencé à opérer: le joli folk du Petit âne gris, suivi de Des jonquilles aux premiers lilas, prétexte à taper des mains, Le rossignol anglais avec son bout en espagnol dans lequel le chanteur a mordu avec énergie, et enfin le charme délicieusement suranné d'Adieu monsieur le professeur qui a fait se lever tous les spectateurs.

Le meilleur restait à venir. D'abord le coup de chapeau à Félix dont les chansons ont convaincu le jeune Aufray de chanter en français.  «J'ai gagné ma vie grâce à lui», a-t-il dit sur un ton exempt de flagornerie. J'en tiens pour preuve sa magnifique version, toute en délicatesse, de Notre Sentier, immédiatement suivie d'un P'tit Bonheur sur fond de mandoline et de guitare slide.

Peu après, Aufray nous a servi coup sur coup ses grands succès: Céline, évidemment, que le public a chuchotée avec lui, Les crayons de couleur, qu'il nous a dit avoir chantée pour Martin Luther King à Paris, la rassembleuse Hasta Luego, la touchante Stewball et l'irrésistible Santiano.

Au rappel, après un clin d'oeil à Coluche qui l'avait taquiné sur son côté «feu de camp» (Ensemble on est moins seul), Aufray a chanté Mistral gagnant pour son ami Renaud qui traverse une période difficile. La fin digne et émouvante d'un spectacle qui n'a laissé personne insensible. Hugues Aufray meurt d'envie de revenir faire une vraie tournée chez nous et après cette belle soirée, on se le souhaite.

En lever de rideau, le pas mal plus jeune Alexis HK a séduit le public d'Hugues Aufray par l'humour et la fantaisie qu'il injecte dans une tradition chansonnière renouvelée.  Il nous a laissés sur «l'exclusivité mondiale de Québec» de la chanson-titre de son album à paraître en septembre: Le dernier présent.