Est-ce parce que je n'ai pas d'enfant que je suis moins épidermique que d'autres lorsqu'il est question de la culture des jeunes? N'ayant jamais eu à revêtir les habits parentaux ni à faire preuve d'autorité, je n'ai pas vécu cette coupure brutale qui sépare le «jeune» de l'adulte. Non, je n'ai rien oublié, surtout pas les insultes des adultes à l'endroit de ma génération qui, comme toutes les autres, a été traitée d'inculte. Encore moins les réformes bidon dont j'ai été le cobaye. D'ailleurs, je m'énerve uniquement lorsqu'il est question du Système... comme les jeunes, j'imagine, un groupe d'âge où je me suis peut-être trop attardée.

Quand je lis dans un article de ma collègue Ariane Lacoursière que la énième contre-réforme scolaire est déjà perçue comme un retour aux années 80 - mes années - où l'on ne formait que des perroquets (COUAC! COUAC!), qu'on fera «semblant de parler de connaissances», j'ai l'impression de lire un roman d'Orwell.

J'ai bien plus peur des pédagogues que des jeunes, de leur langage qui semble sorti tout droit d'un Necronomicon bureaucratique écrit par le «Fonctionnaire dément». J'imagine des rites sacrificiels d'esprits vierges en psalmodiant le Renouveau pédagogique...

Mettez ça sur le compte de mon penchant pour l'optimisme, mais je n'ai pas du tout été déprimée par le dossier de mes collègues sur la culture et les cégépiens publié samedi dernier. La seule chose qui m'inquiète dans ce type d'exercice est cette idée de sonder la profondeur de la culture de ceux qui n'en sont encore qu'au début dans cette dimension de la vie, un peu comme si on mesurait la performance d'enfants destinés aux Jeux olympiques en déplorant que la médaille d'or ne soit pas pour demain. Et puis, il faudra bien l'admettre un jour, ce n'est pas parce qu'on suit des cours d'éducation physique ou de chimie à l'école qu'on devient forcément un athlète ou un scientifique; il en va de même pour l'apprentissage de la lecture, qui ne fera pas de tous de «grands lecteurs», c'est-à-dire ceux qui abordent le monde par le livre. Si c'est ma façon d'être au monde, je compte souvent sur mes doigts et je pratique les sports comme un pied, alors j'essaie de rester humble.

Il y a quelque chose d'hypocondriaque dans notre vision de la culture, quand un portrait donne chaque fois envie de crier à l'invasion barbare, comme un simple bouton annoncerait un cancer. On oublie que rien n'est fixé à cet âge et que beaucoup de changements s'en viennent. S'il avait fallu qu'on sonde la profondeur de ma culture à 20 ans, on aurait entendu beaucoup d'écho dans un vide que j'étais désespérée de remplir, souvent sans l'aide de profs qui ne s'en tenaient qu'aux réformes. On y va donc à tâtons, maladroitement, en lisant beaucoup de livres pour rien, avant de tomber sur quelques guides qui ouvriront la route vers de grands voyages. Il faut se montrer tenace et patient.

Les garçons lisent moins que les filles, selon ce sondage, mais je connais tellement de gars qui ont commencé à lire plus sérieusement dans la vingtaine, c'est à se demander s'ils n'attendent pas d'être sortis de l'école pour pouvoir lire en paix, peut-être plus allergiques à l'autorité que les filles. Elles lisent Marie Laberge, se surprend-on, mais je me souviens que, dans les années 80, on lisait Les filles de Caleb, d'Arlette Cousture, ce qui se ressemble.

Par contre, ce qui m'a fait plaisir dans ce dossier, c'est la popularité de Patrick Senécal, qui non seulement est l'écrivain favori des jeunes, mais qui arrive aussi en quatrième position dans leurs vedettes préférées... avant Johnny Depp! Qu'un écrivain fasse partie des personnalités préférées toutes catégories confondues, on voit rarement ça, mais qu'il soit en plus québécois, c'est exceptionnel. Senécal, qu'on surnomme le «Stephen King du Québec», occupe précisément la place que King prenait à mon époque. Et il le fait en français mâtiné de joual dans les dialogues, dans des romans dont l'histoire est toujours située au Québec et qui sont publiés par Alire, une maison d'édition d'ici. Il ne donne pas seulement un lustre un peu glamour à sa profession, il sert aussi de porte d'entrée dans le monde de la lecture et de lien direct avec la littérature québécoise. C'est comme, genre, full cool, je trouve.