Il y a dix ans, Jessica Goldman n'osait pas traverser Wynwood, une zone lugubre d'entrepôts à Miami. Depuis, des artistes de street art ont transformé les façades décaties en immenses toiles à ciel ouvert et fait du quartier l'un des plus «cools» des États-Unis.

Femmes sensuelles aux masques inquiétants de l'artiste française Miss Van, scènes multicolores des Brésiliens Os Gemeos, grande fresque de l'Américain Shepard Fairey, devenu célèbre en 2008 avec son portrait de Barack Obama Hope: tous ont été invités à laisser leur marque sur les murs d'un original musée en plein air, Wynwood Walls.

Commissaire de cette exposition, Jessica Goldman a vu tout le quartier se développer, sous l'impulsion de son père promoteur, jusqu'à abriter près de 70 galeries d'art et une vingtaine de restaurants.

Cette évolution ne s'est pas faite spontanément mais à coups d'investissements immobiliers.

À partir de 2006, Tony Goldman, connu pour avoir développé le quartier de SoHo à New York dans les années 1970 et Miami Beach dix ans plus tard, a tourné son attention vers Wynwood. Sa société Goldman Properties possède aujourd'hui 30 bâtiments dans le quartier.

«Notre modèle de développement passe par le rachat d'une masse critique de biens immobiliers», explique Jessica Goldman, qui dirige l'entreprise familiale depuis le décès de son père en 2012. «En général, le minimum c'est 18, c'est ce dont on a besoin pour véritablement imprimer un changement», poursuit-elle.

Contrairement à Manhattan ou Miami Beach, «l'architecture n'avait rien d'intéressant à Wynwood», souligne-t-elle. «Ce qui était vraiment intéressant c'était le street art, il y avait de bonnes choses et d'autres moins».

«Et nous nous sommes donc appuyés sur ça, parce que ça faisait partie de l'âme du quartier. Nous avons invité les meilleurs artistes de street art du monde pour peindre sur les supports offerts par nos immeubles. En faisant venir ces artistes extraordinaires, nous avons mis la barre haut».

Un développement qui a aussi profité de la réputation grandissante de Miami comme ville artistique, avec notamment une édition locale de la foire internationale Art Basel.

«Toucher l'art»

Aujourd'hui, la musique s'échappe des nombreux bars jusque sur les trottoirs où des tagueurs ont laissé des messages. La jeunesse se retrouve autour des tables de restaurants de cuisines du monde.

Ce cadre branché a été secoué cet été par les premières transmissions locales via des moustiques du virus Zika aux États-Unis. Les autorités sanitaires ont finalement levé le 19 septembre l'alerte déconseillant le quartier aux femmes enceintes.

«Mon père m'a appris à voir le potentiel des choses plutôt que leur état actuel», dit Mme Goldman, se tenant devant l'immense portrait de son père souriant, les bras ouverts et encadré d'un halo doré, réalisé par Shepard Fairey.

«On peut choisir de voir des quartiers détériorés, désaffectés, où règne la criminalité. Où on peut y voir une opportunité», relève l'héritière.

Pari réussi à Wynwood, désigné l'un des quartiers les plus cools des États-Unis par le magazine américain Forbes... et même du monde par Vogue.

«Wynwood Walls est un lieu formidable pour l'art», dit Chaz, un artiste néerlandais de 41 ans qui forme avec Bob - personne ne donne son nom de famille -, le collectif britannique The London Police. Ils créent des personnages ronds et stylisés sur fond d'éléments futuristes.

«C'est un grand honneur d'être invités ici, dans ce lieu qui a l'excellente réputation de faire venir les meilleurs artistes du monde», poursuit-il.

Wynwood Walls et le parc adjacent Wynwood Doors offrent gratuitement au public un contact différent et plus direct avec l'art.

Difficile ici de contempler une fresque sans que des visiteurs ne se postent devant pour se prendre en photo, imitant souvent les attitudes des personnages représentés.

«Ici on peut se prendre en photo et les partager», se réjouit Erika Freijah, une touriste vénézuélienne de 17 ans en pleine séance de pose avec sa famille. «Au musée, tu ne peux pas te mettre à sauter devant un tableau par exemple».

«Quand on pense au street art, on passe le plus souvent devant en voiture ou en train», renchérit Jessica Goldman. «Ici les gens peuvent traverser ce musée vivant, ils peuvent le toucher, l'explorer, s'approcher. C'est une expérience très différente».