Une trentaine de portraits de l'artiste torontois Tony Scherman est présentée à la galerie Bellefeuille jusqu'au 3 mai. L'occasion de découvrir une peinture figurative à l'encaustique qui mêle tradition séculaire et contemporanéité tout en nous questionnant sur sa valeur émotive.

Les oeuvres de Tony Scherman font partie de collections publiques au Canada, en Europe et aux États-Unis, notamment du Centre Georges Pompidou, à Paris, du San Diego Museum, du Musée des beaux-arts de l'Ontario, du Musée d'art contemporain de Montréal et du Musée des beaux-arts de Montréal.

Une de ses oeuvres de l'an 2000, The Blue Highway, un bouquet de fleurs coupées, fera partie de la prochaine vente aux enchères de la maison Heffel, le 25 mai, à Vancouver. 

Âgé de 65 ans, Tony Scherman n'a pourtant jamais joui d'une exposition dans un musée canadien, à l'exception du Musée des beaux-arts de la Nouvelle-Écosse en 2007. Est-ce dû au fait qu'il utilise la peinture à l'encaustique, dans laquelle les pigments sont mélangés à de la cire fondue? 

Cette technique remonte à l'Antiquité. Elle a été utilisée par les Grecs, les Égyptiens et les Romains, avant de tomber en désuétude jusqu'au XIXe siècle, quand Delacroix, notamment, l'a remise au goût du jour. Actuellement, elle ne suscite pas un enthousiasme démesuré de la part des artistes. C'est le moins qu'on puisse dire. 

Du coup, Tony Scherman dit être totalement ignoré par les commissaires et conservateurs depuis des lustres, même s'il parvient, commercialement, à trouver son public au Canada, aux États-Unis, en Allemagne et en Chine. 

Impressions et toiles

Dans la section orientale de la galerie, on a placé des impressions à l'encaustique (peintures créées sur des photos) et des natures mortes sur toile. Ce ne sont pas les oeuvres les plus spectaculaires de cet artiste inspiré par Velasquez, van Dyck, John Singer Sargent, François Boucher ou encore Fragonard.

Il faut se rendre dans la partie de la galerie située côté ouest de l'avenue Greene pour voir les oeuvres les plus marquantes de Scherman. Ses portraits de grand format sont réalisés à partir de photos, de films ou d'images de magazines. On retrouve dans l'expo (accompagnée d'un catalogue) des toiles avec des personnages de la scène artistique ou de l'histoire tels que Brooke Shields, Catherine Zeta-Jones, Margaux Hemingway ou Charlotte Corday, et des personnages de fiction comme Lady Macbeth. Ses personnages semblent le plus souvent pris dans une certaine turpitude morale...

Travail de surface

Ce qui frappe avec la peinture d'allure traditionnelle de Tony Scherman, c'est qu'on la croit facile à faire. On se dédit quand on constate le travail de surface. Pratiquement toutes ses créations sont épaisses, l'artiste ayant apposé sur la toile de nombreuses couches d'encaustique pour travailler ensuite au sein de cette structure sédimentée. On le voit notamment avec les oeuvres The Last Stewardess - qu'il a mis deux ans à terminer - ou encore Lady Macbeth. Des oeuvres réalistes où il parvient à donner volume et profondeur pour faire ressortir ses modèles. 

Sa Mary Magdalene (no 15024) est une oeuvre dans des dégradés de tons de chair, d'orange et de bleu maya. La même héroïne présentée de face  (no 15025) est très expressive, autant dans la douceur du regard que dans sa moue expectative.

Une toile intéressera les amateurs de musique: Mick Jagger as Apollo. Si les yeux dérangent un peu (ce regard était peut-être celui du chanteur des Stones dans ses jeunes années), il faut reconnaître que la toile ne manque pas d'attrait et rappelle l'androgynie passée de l'artiste. 

Certaines peintures sont perturbantes avec leur côté Renaissance tout en ayant une allure très actuelle, telles que Pretty Baby ou Young Torquemada, où le fond sombre rappelle les portraits de Velasquez. 

Mais d'autres ont assurément un statut plus contemporain, avec leur fond plus clair et les traits des personnages à peine esquissés. C'est le cas du Claudia Cardinale, peinte en 2013, de Polonius, où le visage est à peine suggéré autour des yeux et du nez, et de My Father's Ghost, qui fait penser à certaines représentations de Faust, vieux, accablé par la mort qui se répand dans son village médiéval.

Alors, on reste un peu indécis par rapport à cette production qui ne manque certainement pas de charme, mais qui ne parvient ni à nous surprendre ni à nous bouleverser véritablement. Nonobstant le talent indéniable de cet artiste sorti en 1974 du Royal College of Art, à Londres.

Tony Scherman dit s'intéresser aux paradoxes en peinture et vouloir réinventer une narration picturale. Il a effectivement les deux pieds et les deux mains dans le paradoxe. À contresens du sens commun. À la fois rebelle et conservateur. Entre deux eaux naît souvent le trouble.

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Portraits, de Tony Scherman, Galerie de Bellefeuille (1367, avenue Greene, Montréal), jusqu'au 3 mai.

PHOTO SHAWN SAGOLILI, FOURNIE PAR LA GALERIE DE BELLEFEUILLE

My Father's Ghost, 2012-2013, série The Cream of Denmark, de Tony Scherman, encaustique sur toile, 60 po x 60 po.