À cause de ses immenses richesses archéologiques, héritées des civilisations andines, le Pérou a le triste honneur de figurer parmi les premiers pays pour ce qui est du pillage de patrimoine. Encore aujourd'hui, il arrive que l'on retrouve dans des galeries ou des collections privées des objets de grande valeur à la provenance douteuse.

C'est le cas du superbe ornement frontal que l'on peut voir sur la nouvelle affiche de l'expo Pérou: royaumes du Soleil et de la Lune, présentée du 2 février au 1er juin au Musée des beaux-arts.

Cet objet d'origine mochica, qui représente un terrifiant dieu marin, a été restitué en 2006 au Musée de la Nation à Lima, après avoir été repéré par Scotland Yard dans une galerie londonienne. Il avait vraisemblablement été volé lors de fouilles illicites en 1988, dans la vallée de Jequetepeque.

«Pour le Pérou, ce fut une grosse victoire symbolique», résume Nathalie Bondil, directrice du MBAM.

Il faut savoir que le Pérou fait de grands efforts pour rapatrier des objets de son histoire précolombienne. Parfois avec succès. Depuis cinq ans, le pays du Machu Picchu a ainsi retrouvé 2700 objets aux quatre coins du monde, avec l'aide des réseaux policiers comme Interpol ou Scotland Yard, ce qui en ferait un leader dans le domaine du rapatriement et de la résolution de cas.

Selon Mme Bondil, cette campagne de récupération est particulièrement importante pour le Pérou, puisque c'est en grande partie «grâce à son patrimoine archéologique que le pays a forgé son identité péruvienne». Qu'on pense au fameux Machu Picchu. Redécouverte en 1911, cette ancienne cité inca a largement contribué à nourrir la mémoire collective et patriotique des Péruviens.

Une restitution, une disparition

Toutes ces restitutions n'empêchent cependant pas le pillage de se poursuivre. En 2011, selon Interpol, le Pérou était toujours le pays le plus spolié d'Amérique latine, devant le Mexique et la Bolivie.

Cette hémorragie, qui a connu son apogée dans les années 80, alimente un important trafic d'art aux ramifications internationales. Après avoir été volés sur le site par des «locaux», les objets sont donnés à des intermédiaires qui les sortent du pays en douce, empruntant généralement les mêmes filières que les armes ou la drogue. Arrivés à bon port, ils sont ensuite récupérés par des collectionneurs, qui les exposent de manière plus ou moins clandestine.

Depuis 1995, une nouvelle convention internationale (Unidroit) facilite la traque des oeuvres volées, en donnant plus de pouvoir aux réseaux policiers. C'est ainsi, notamment, qu'on a pu retrouver la Mona Lisa mochica en 2006. Le développement des réseaux informatiques a aussi permis de nouvelles saisies à l'étranger. «Il y a actuellement des bases de données hallucinantes, qui aident à répertorier et à localiser les oeuvres», explique Mme Bondil.

Le Pérou, de son côté, mène une lutte ardue, en amont, contre le pillage. En région, les populations locales sont de plus en plus renseignées sur l'importance du patrimoine archéologique, non seulement pour sa valeur historique, mais aussi pour son grand potentiel de retombées touristico-économiques.

«Cela demande beaucoup de moyens en termes de pédagogie, résume Mme Bondil. Les pilleurs sont généralement des paysans avec peu de moyens. Ils vivent sur un territoire très vaste et ces tombes sont dans leur champ. Mais il y a une vraie volonté politique. Le pays explose sur le plan touristique et ça vient avec une prise en charge sur le plan patrimonial, une réfection des musées, une législation nouvelle.»

Cela dit, le problème est encore loin d'être réglé. Et il faudra probablement du temps avant que ce fléau séculaire ne soit complètement enrayé.

«Les pays où il y a le plus de vols d'art sont l'Italie et la France, conclut Mme Bondil. Quand on voit les moyens dont disposent ces pays, on comprend qu'au Pérou, il y a encore du chemin à faire...»

La restitution dans d'autres pays

Les démarches de restitution ne sont pas propres au Pérou. De plus en plus de pays se sont mis à réclamer des objets qui leur ont été «dérobés» à une époque où l'archéologie était un facteur de rayonnement pour les grandes puissances coloniales.

C'est le cas de la Turquie, qui se révèle particulièrement énergique dans le domaine. Ces dernières années, Ankara a ainsi pu récupérer un certain nombre de pièces anciennes auprès du Dallas Museum of Art, du Met de New York et du Musée Pergamon de Berlin.

Mais toutes les réclamations ne sont pas aussi fructueuses. Malgré des demandes répétées d'Athènes, le British Museum refuse encore de restituer à la Grèce ses fameux Marbres d'Elgin.

Qui a tort, qui a raison? Telle est la question. Il faut savoir que jusqu'en 1970 (année de la Convention de l'UNESCO pour la protection de l'art archéologique), on pouvait acheter de bonne foi tout objet ancien sans se questionner sur sa provenance. Ce qui explique que plusieurs musées occidentaux possèdent aujourd'hui leur momie égyptienne, leur masque mochica ou leur mosaïque anatolienne. Acquises légalement, ces pièces ont en outre été restaurées et préservées par les institutions, ce qui les a peut-être sauvées d'un destin moins glamour.

Les demandes de restitution sont-elles pour autant injustifiées? C'est selon. «À ce stade, cela devient des questions d'éthique, de parti pris, de négociations, observe Mme Bondil. La demande des pays peut paraître légitime. Mais la position des musées l'est tout autant. On ne peut pas refaire l'histoire...»