Le jour tombait. Un petit crachin humide mouillait les rues désertes de Boisbriand. Ici et là, l'aboiement étouffé d'un chien se mêlait aux effluves de l'heure du souper. Érick Rémy a remonté la fermeture éclair de son blouson. Plutôt que d'être assis au chaud derrière un micro de radio, le chroniqueur artistique entamait sa 13e soirée (sur 63) de porte-à-porte.

«Bonjour, je m'appelle Érick Rémy. Je me présente comme conseiller municipal pour le Ralliement des citoyens de Boisbriand avec l'équipe de la mairesse Marlène Cordato. Puis-je compter sur votre appui?»

Selon Frédérick Bastien, professeur adjoint au département de sciences politiques de l'Université de Montréal, quitter le milieu des arts ou du showbizz pour se faire élire est la forme d'engagement politique la plus radicale. «Les artistes s'investissent dans toutes sortes de causes, mais jamais dans le but de se faire élire. Se porter candidat, c'est l'ultime geste d'implication parce qu'une fois élu, on ne peut pas retourner en arrière.»

Une implication ultime, donc, mais qui est de plus en plus courante et pas seulement chez nous. Depuis Ronald Reagan (acteur) jusqu'à Vaclav Havel (poète et écrivain) en passant par Melina Mercouri, actrice grecque devenue ministre de la Culture, Arnold Schwarzenegger, ex-gouverneur de la Californie, sans oublier, chez nous, le poète Gérald Godin et les comédiens Pierre Curzi et Maka Kotto ou les animatrices Marguerite Blais et Élaine Ayotte, la politique et les arts n'ont cessé de se rapprocher dans une valse où chacun cherche à séduire l'autre.

Cet automne, au Québec, la valse n'a jamais été aussi intense. Plus d'une demi-douzaine de gens issus des médias et des milieux culturels ont fait le saut en politique municipale; des gens comme Marie Plourde, Danièle Lorain, Érick Remy ou Philippe Schnobb.

Pourquoi maintenant et pourquoi au municipal? Selon le spécialiste en communications Yves Dupré, d'Octane Stratégies, la commission Charbonneau y est pour beaucoup.

«Même si vous vivez dans une municipalité où il ne s'est rien passé de particulier, vous avez entendu parler de la commission Charbonneau et des problèmes de corruption. Pour contrecarrer cet effet négatif, les partis se sont tournés vers de nouveaux visages et des gens connus, issus de différents milieux, dont le milieu culturel. Il faut s'en réjouir. La politique municipale n'intéresse pas les gens. Le taux de participation dépasse rarement 45%. Or, la notoriété des candidats et l'affection qu'on leur porte risquent de réveiller l'intérêt des électeurs.»

Le chercheur Frédérick Bastien s'est intéressé au phénomène de l'hybridation entre le politique et le divertissement et a écrit Beyond Sex and Saxophones sur le légendaire solo de saxe de Bill Clinton dans un célèbre talk-show.

Il croit que l'ouverture du milieu politique aux arts repose sur un grand principe: celui de la communication. «L'intérêt d'avoir un candidat comédien ou animateur, c'est qu'il maîtrise d'office les codes de la communication. Plus la communication a pris de l'importance en politique, plus le milieu s'est ouvert aux communicateurs, délaissant le réservoir traditionnel des candidats issus de professions libérales.»

Le chercheur ne voit pas pourquoi il faudrait s'offusquer du fait que des artistes envahissent le champ politique. «Après tout, dit-il, les politiciens envahissent de plus en plus la sphère du divertissement, que ce soit dans des talk-shows ou dans les émissions de variétés. En fait, ces deux sphères s'imbriquent bien et semblent faites l'une pour l'autre.»

Et la compétence dans tout cela? Les candidats issus du milieu des arts, du showbiz ou des médias ont-ils les compétences et les connaissances nécessaires pour se lancer dans l'arène politique? Le font-ils dans un élan citoyen et altruiste pour avoir une meilleure emprise sur leur environnement immédiat ou à cause d'un creux dans leur carrière professionnelle?

Les chercheurs et consultants en communication n'ont jamais étudié les motivations profondes ou même circonstancielles qui ont poussé des gens des arts ou des médias à quitter leur métier pour la politique. Au plus reconnaissent-ils que ceux qui ont des carrières trop prenantes et une longue liste d'engagements peuvent difficilement tout abandonner pour aller faire du porte-à-porte ou siéger aux interminables séances des conseils municipaux.

En revanche, ce qui est clair, c'est que la plupart des candidats n'ont pas décidé du jour au lendemain de faire de la politique. Tous étaient déjà engagés d'une certaine façon dans leur communauté.

Érick Rémy était membre du comité culturel de Boisbriand et président d'honneur de deux collectes de sang organisées par la mairesse. La comédienne Danièle Lorain s'intéresse à la politique depuis toujours et a même fait une scolarité de maîtrise en sciences politiques. Marie Plourde était membre du conseil d'administration de la société de développement commerciale Pignons rue Saint-Denis. Quant à la chanteuse Stéphane Moraille, qui brigue l'investiture du NPD dans Bourassa dans l'espoir de se faire élire à l'élection partielle, c'est une avocate à temps plein depuis 2001 qui s'est battue âprement contre la modification à la loi sur les droits d'auteur.

Nous saurons le 3 novembre pour les élections municipales, et un peu plus tard pour la partielle dans Bourassa, si ces candidats-vedettes ont su gagner la confiance des électeurs.

En attendant, quitter le milieu privilégié de la télé, du théâtre et des tapis rouges pour aller faire du porte-à-porte sous la pluie, distribuer des dépliants sur le trottoir, recevoir les doléances des citoyens sera une belle leçon d'humilité pour plusieurs d'entre eux. Mais il n'est pas dit qu'ils n'y prendront pas goût.

Les candidats-vedettes

Marie Plourde: l'épiphanie de Marie

Poste convoité: conseiller de l'arrondissement du Mile End

- Équipe Bergeron

Le moment décisif? Marie Plourde fouille dans sa mémoire à la recherche du moment fatidique où elle a décidé de faire le saut en politique. «Ç'a été long et pas facile. Ça impliquait mon chum, ma fille. Professionnellement, je prenais le risque de me retrouver sur la glace. En plus, je n'aime pas la politique plus qu'il faut, je trouve ça lette

Malgré ces réserves, l'ex-animatrice a fini par se résoudre à dire oui. C'était à la mi-août, juste avant la fin de son remplacement à l'émission d'Isabelle Maréchal au 98,5. Manque de chance, la nouvelle est sortie avant que Marie l'annonce à ses patrons. Un mauvais début, mais les choses se sont arrangées depuis. Celle qui brigue un poste de conseiller d'arrondissement dans le Mile End, où elle vit depuis 17 ans, ne souffre plus du syndrome de l'imposteur. Si elle est élue, elle veut être à l'écoute des gens, faire le lien entre les citoyens et l'appareil administratif. «Je veux participer à une vraie politique de proximité, sans relationnistes ni sparages», conclut-elle comme une vraie pro... de la politique.

Photo Alain Roberge, La Presse

L'animatrice Marie Plourde se présente avec l'équipe Bergeron dans l'arrondissement du Mile End.

Danièle Lorain: comédienne citoyenne

Poste convoité: maire de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal - Coalition Marcel Côté

Un père français qui a été fait prisonnier pendant la Seconde Guerre mondiale, une mère qui a milité pour le Parti québécois, des discussions politiques à la table au souper, une scolarité de maîtrise en sciences politiques, Danièle Lorain a l'impression que la politique a toujours fait partie de sa vie.

Mais quand la comédienne a été sondée par Louise Harel pour se présenter comme maire d'arrondissement contre le maire Ferrandez, elle a pris l'été pour y réfléchir. Sa mère Denise Filiatrault ne comprenait pas pourquoi elle tergiversait.

«Parce que c'était une grosse responsabilité et un gros engagement. Ce qui m'a décidée, c'est la conscience que ce moment-là ne repasserait pas et qu'il fallait le saisir.»

Celle qui vit sur le Plateau depuis 1976 trouve que son quartier a bien changé.

«J'ai connu le Plateau effervescent, festif, convivial. Aujourd'hui, l'ambiance est mauvaise, il y a de la grogne. L'hiver, on se casse la gueule parce que ce n'est pas déneigé; l'été, les piétons sont pris entre les automobilistes en colère et les cyclistes frustrés. Nous vivons en autarcie, sans vision métropolitaine et sans que personne n'écoute les gens.»

Danièle Lorain promet d'être à l'écoute. Elle est consciente que sa vie ne sera plus la même si elle est élue. Elle devra faire le deuil de la scène et de sa famille théâtrale et se montrer à la hauteur des électeurs qui vont payer son salaire.

«On ne va pas là par dépit ou faute de mieux, mais parce qu'on est engagé et qu'on y croit.» À ce chapitre, aucun doute: Danièle Lorain y croit.

Photo Martin Chamberland, La Presse

Érick Rémy: monsieur Communication

Poste convoité: conseiller municipal de Boisbriand 

- Ralliement des citoyens de Boisbriand

Trois maires arrêtés, des magouilles impliquant l'ex-entreprise de Lino Zambito, la première grande frappe de l'opération Marteau... Si la fierté a une ville, elle ne s'appelle pas Boisbriand. Pourtant, l'animateur et chroniqueur Érick Rémy se dit fier de la ville où il vit depuis six ans et encore plus fier de sa mairesse, Marlène Cordato.

En enregistrant à son insu Lino Zambito et en envoyant la cassette à l'émission Enjeux, Cordato a été l'instigatrice de la première salve médiatique contre la corruption. Depuis, elle a elle-même fait l'objet d'une enquête de la Sûreté du Québec, mais Érick Rémy n'en parle pas. Il se concentre sur les 2700 portes du quartier Duguay auxquelles il sonnera 7 soirs sur 7, pendant 63 jours.

«J'avais un désir de m'investir dans ma communauté et puisque, professionnellement, je ne suis plus au sommet de l'échelle, le moment était propice. Après l'échec de Monsieur Showbiz à TQS, il a fallu que je me redéfinisse. Pas par mon métier, mais par ma personne. La politique fait partie du processus.»

À en juger par l'accueil amical que monsieur Communication reçoit dans les chaumières de Boisbriand, où je l'ai suivi cette semaine, sa redéfinition va bon train.

Photo Bernard Brault, La Presse

Stéphane Moraille: cinq vies

Poste convoité: députée fédérale pour le NPD 

- Circonscription de Bourassa

Stéphane Moraille affirme dans un grand éclat de rire qu'elle a quatre vies. Une première vie en Haïti, où elle est née et a vécu jusqu'à 17 ans, une vie de prof de danse hip-hop à Montréal-Nord, une vie de chanteuse dans le groupe Bran Van 3000 et une vie d'avocate en droits du divertissement.

Le 25 septembre, si elle est désignée à l'investiture du Nouveau Parti démocratique (NPD) dans Bourassa, puis élue à l'élection partielle, elle entamera sa cinquième vie: députée fédérale.

«C'est la bataille que j'ai menée et perdue contre la modification de la loi sur le droit d'auteur qui m'a poussée à m'engager auprès du NPD. C'était une façon de combattre mon sentiment d'impuissance.»

Stéphane ne vit plus à Montréal-Nord, mais y compte beaucoup d'amis et d'alliés. Elle sait que se faire élire ne sera pas une mince affaire, mais elle se dit prête à aller au front et à entreprendre... sa cinquième vie.

Photo Alain Roberge, La Presse