La hausse du prix de l'essence, qui a atteint 1,48 $ le litre hier à Montréal, touche directement les poches des consommateurs, ce qui risque de causer des dégâts en Bourse, affirment des experts.

« Ça devient un peu plus difficile pour le secteur de la consommation. Plus tu dois mettre de l'argent pour payer ton essence, moins il t'en reste pour dépenser ailleurs », lance le stratège Martin Roberge, de la firme Canaccord.

Ce point de vue est partagé par Mona Nazir, l'analyste spécialisée dans les transports de la Banque Laurentienne. La hausse des prix à la pompe s'observe un peu partout dans le monde, mais Mona Nazir fait néanmoins remarquer qu'environ 40% des clients du voyagiste Transat sont au Québec. « S'ils ont moins d'argent discrétionnaire, ils prendront potentiellement moins de vacances. »

Cependant, pour que l'impact soit réellement tangible, ajoute l'analyste, il faudrait que la hausse à la pompe se prolonge sur une longue période.

Et il n'y a pas que le prix de l'énergie qui monte, dit Martin Roberge. « Il y a aussi le prix des hypothèques avec les hausses de taux d'intérêt. »

IMPACT SUR LES TRANSPORTS

Pour ce qui est de l'impact sur les entreprises comme Air Canada, WestJet, Canadien National et Canadien Pacifique, Martin Roberge estime qu'il ne faut pas se raconter d'histoires. « Il s'agit pour l'essentiel de duopoles ou d'oligopoles. Il y a tellement peu de concurrence que ces entreprises refilent la facture aux consommateurs lorsqu'elles font face à des hausses de coûts. »

Il ajoute que tout comme l'entreprise montréalaise de camionnage TransForce, ces entreprises utilisent des programmes de couverture pour se prémunir contre des hausses du prix de l'énergie en plus de facturer des surcharges. Une certaine poussée du baril de pétrole ne leur nuit pas et peut même leur donner un peu plus de pouvoir pour augmenter leurs prix, dit-il. 

« Ça peut être favorable si les surcharges sont passées alors que le niveau du baril se stabilise. On peut voir des gains nets totaux sur couverture en tenant compte des surcharges. »

UN SECTEUR VULNÉRABLE

Pour trouver des entreprises qui peuvent souffrir de l'augmentation des prix de l'énergie, il faut regarder un secteur en particulier.

« Tout ce qui est lié à la consommation discrétionnaire a commencé à ralentir depuis le début de l'année : Dollarama, Couche-Tard, Maple Leaf Foods. » - Martin Roberge, stratège chez Canaccord

« Les épiciers ont tenu le coup, mais ils n'avaient tellement rien fait en Bourse depuis un moment. Les titres des épiciers sont emprisonnés dans une fourchette. C'est également difficile pour les compagnies aériennes comme Air Canada et WestJet lorsque le prix du baril devient trop élevé. Ils ne se "hedge" jamais assez. »

AUGMENTATION PROGRESSIVE

Mais c'est surtout le secteur discrétionnaire qui est touché. « La bonne nouvelle, c'est qu'il n'y en a pas beaucoup de compagnies de ce secteur dans l'indice boursier au Canada », souligne Martin Roberge. Il se dit donc peu inquiet pour l'instant.

« La dernière fois que le litre d'essence se vendait à près de 1,50 $ à Montréal, le baril de pétrole se négociait à 140 $ US sur les marchés. » Aujourd'hui, le baril vaut un peu moins de 70 $ US. Pour alimenter les craintes, selon lui, il faudrait voir une spirale (c'est-à-dire un choc sous la forme d'une progression très rapide) au-delà de 80 $ US le baril.

À cet égard, Martin Roberge fait remarquer que le prix de l'essence a monté de façon linéaire - de 1,30 $ à 1,40 $ à près de 1,50 $ aujourd'hui. « On l'a comme vu venir. Ce n'est pas un choc. »

Plusieurs facteurs peuvent contribuer à la situation actuelle. « Depuis sa chute vertigineuse d'il y a quatre ans, la hausse du prix du baril de pétrole au cours des 18 derniers mois [de 30 $ US à 75 $ US] est assez spectaculaire. On parle quand même d'une hausse de 150 % », dit Carol Montreuil, vice-président de l'est du Canada, à l'Association canadienne des carburants.

« Si vous ajoutez les hausses substantielles de taxes (incluant la taxe du marché du carbone d'environ 5 cents/litre) et la faiblesse du dollar canadien, vous avez une bonne explication. » - Carol Montreuil

Un autre élément souligné par Martin Roberge est lié aux réserves de produits (gazoline, propane, méthane, etc.) qui sont « très » faibles. « Les raffineries font habituellement une maintenance en mars et avril chaque année. La demande de pétrole par les raffineurs a augmenté un mois plus tôt cette année, car la saison des grands déplacements qui commence en mai devrait être assez forte en raison de la croissance économique. »

Une partie de la hausse du prix du brut est également liée à l'anticipation de voir les Américains annoncer le 12 mai qu'ils se retirent de l'accord sur le nucléaire avec l'Iran. Une telle décision empêcherait l'exportation de pétrole iranien aux États-Unis.

« Après cette annonce, le marché pourrait recommencer à se transiger sur l'offre et la demande », dit le stratège de Canaccord.