Les négociateurs boursiers attendaient un moment de panique comme celui-là depuis longtemps. Il fallait être prêt à agir à l'ouverture des marchés. Deux traders professionnels, Voicu Valentir, du Groupe Cavaliro, et Mickael Dufresne, négociateur indépendant, ont raconté à La Presse comment ils ont vécu la séance d'hier.

Préparation

«Quand j'ai vu ce qui se passait deux heures avant l'ouverture, mon travail a été de fixer les bons prix pour mes ordres d'achat», laisse savoir Mickael Dufresne, qui exerce le métier depuis une dizaine d'années. «Souvent, une accélération de la baisse en début de journée est un bon indicateur, explique Voicu Valentir. C'est souvent un signe de capitulation et c'est là que tu dois te présenter pour acheter.»

Par expérience, des marchés qui ouvrent aussi bas rebondissent toujours la journée même, ajoute Mickael Dufresne. «C'était clairement de la panique. Il n'y avait pas d'autres explications. Et pas d'autres choses à faire non plus que d'acheter dès l'ouverture des actions au meilleur prix possible pour ensuite les revendre rapidement.»

Journée faste

«C'est le genre de journée où tu peux faire plusieurs milliers de dollars, mais tu dois connaître tes titres», indique Voicu Valentir. En mi-journée, Mickael Dufresne avait déjà reçu plusieurs textos et courriels de collègues traders qui disaient avoir eu leur meilleure journée à vie.

«La plupart des traders avaient la même stratégie lundi [hier] matin et c'était d'acheter à l'ouverture sans se poser vraiment de questions. À part savoir à quel prix placer nos ordres d'achat. On pouvait aussi vendre à découvert des titres qui n'avaient pas baissé beaucoup à l'ouverture. Pour un trader, c'est le genre de journée que tu attends toute l'année. Tu veux voir de la panique parce que ça crée des opportunités. Les ordres stop placés par les petits investisseurs et certains fonds créent des opportunités en or. La panique est toujours le pire conseiller pour un investisseur. Les gens vendent à n'importe quel prix.»

Risques calculés

«Je prends des risques calculés, explique Mickael Dufresne. Tout ce que je fais, c'est utiliser mon gros bon sens. Il n'y avait pas d'événement tragique à rapporter. Il n'y avait encore que des vieilles histoires comme le ralentissement en Chine. Du moment qu'il n'y a rien de particulier, je sais que je peux acheter à un prix plus bas en affichant une confiance assez élevée. On vient de passer une autre saison de résultats trimestriels. Les compagnies qui ont fait de l'argent au dernier trimestre en font depuis des années. Elles montrent encore de la croissance. Il n'y a pas de raison qu'elles baissent de 10 ou 20% subitement.»

Aller à la pêche

«Il fallait placer des ordres sur des titres de qualité à l'ouverture ou sur des titres peu liquides afin de profiter de la position dans laquelle pouvaient se trouver des investisseurs qui devaient absolument vendre suite à un appel de marge, dit Voicu Valentir. D'autres traders pouvaient simplement investir dans des contrats à terme sur les indices ou des titres qui répliquent les indices et attendre que la tempête passe. Comme on dit dans le jargon, on place des stupid bids [des ordres à des prix très bas]. Si quelqu'un doit absolument liquider ses positions, mon ordre d'achat sera là. C'est un peu comme aller à la pêche. Tu envoies une ligne morte et tu attends qu'un poisson passe.»

Attention aux erreurs

«Pour établir le prix des ordres d'achat, je surveille les normales quotidiennes d'un titre pour voir combien il peut perdre lorsque, par exemple, le marché recule de 100 points, dit Mickael Dufresne. Il faut voir à quel point un titre réagit anormalement. Quand les titres bougent autant, les gens perdent parfois la notion des prix. Comme trader, tu regardes davantage les cents que les dollars et c'est là que tu peux faire des erreurs. Des erreurs, il en arrive beaucoup dans ces moments-là. Les prix bougent tellement que tu perds tes références dans le feu de l'action quand tu suis plusieurs titres en même temps. Et ça se passe tellement vite que je n'ai pas pu profiter de tout ce dont j'aurais aimé profiter.»

Les «méchants traders»

Pour ceux qui ont tendance à accuser les traders de tous les maux, Mickael Dufresne tient à souligner qu'ils agissent davantage comme agents de stabilisation des prix. «Le trader va acheter quand personne d'autre ne veut acheter et vendre quand il juge le marché relativement juste ou surévalué. La somme de nos actions est nulle, c'est-à-dire que le plus souvent possible, nous essayons de n'avoir aucune position en fin de journée. Mon objectif était de faire un peu d'argent rapidement en attendant que le marché se stabilise et que la raison semble vouloir revenir. C'est réalisable à cause des machines qui exécutent automatiquement des ordres stop sans limite. De la façon dont le marché a réagi lundi [hier] matin, il y a encore des gens qui font ça.»