Plutôt que de s'en inquiéter, le PDG d'Alpha, principale Bourse à escompte au Canada, se réjouit presque du projet de regroupement de son principal concurrent, la Bourse de Toronto, avec la Bourse de Londres.

> Suivez Martin Vallières sur Twitter

«Cette fusion de sociétés boursières représenterait une nouvelle occasion d'expansion pour Alpha dans les actions et même les dérivés», a affirmé Jos Schmitt, en entrevue avec La Presse Affaires.

Comment? Sur divers plans, enchaîne-t-il, à commencer par l'identité canadienne!

Car lorsque la société TMX, qui comprend les Bourses de Toronto et de Montréal, sera passée au sein du groupe LSEG de Londres, l'influence canadienne en Bourse risque d'être très diluée, selon M. Schmitt.

Alpha aurait alors le champ libre pour se promouvoir comme LA Bourse d'importance encore complètement sous contrôle canadien.

«TMX et LSEG promettent une composante canadienne à la direction de leur nouveau groupe. Mais que se passera-t-il après les quatre ans d'engagements initiaux? Ce groupe dirigé de Londres pourrait décider de priorités d'affaires qui font peu de cas des intérêts canadiens», anticipe Jos Schmitt.

Alpha, faut-il le rappeler, est une Bourse alternative à bas coûts créée par les principaux courtiers du Canada et de grands investisseurs afin de «briser le monopole» de TMX.

Après quatre ans, Alpha accapare le quart du volume des transactions d'actions cotées à la Bourse de Toronto, et presque 20% des actions au marché TSX-Croissance.

Le milieu boursier attribue au succès d'Alpha d'avoir forcé TMX à réduire ses frais transactionnels à quelques reprises.

Et de cette pression concurrentielle, le PDG d'Alpha dit en avoir encore en réserve.

D'une part, Alpha veut élargir son permis afin de faire aussi des inscriptions d'entreprises, ce qui demeure une exclusivité fort lucrative de TMX au Canada.

Une requête a été soumise à la Commission des valeurs mobilières de l'Ontario (CVMO). Le feu vert est anticipé l'automne prochain.

D'autre part, Alpha a commencé la préparation d'indices de marché afin, selon son PDG, d'être prête à suppléer au «risque de détérioration» des indices actuels de la Bourse de Toronto, gérés par Standard&Poors.

Quelle détérioration?

«Les indices actuels (comme le S&P TSX) ne considèrent que les transactions à la Bourse de Toronto. Mais, certains jours, les Bourses alternatives comme Alpha cumulent jusqu'à 40% du volume total. Pour les indices actuels de TMX, il y a donc un problème croissant de représentativité», explique Jos Schmitt.

De plus, dit-il, ce problème risque d'empirer après une fusion de TMX et LSEG, à moins que les autorités décident d'intervenir dans la gestion subséquente des indices.

Par ailleurs, pour Alpha, la mise au point d'indices représente une étape vers sa prochaine cible: le marché des produits dérivés.

Selon M. Schmitt, parce qu'il concerne le marché des dérivés de la Bourse de Montréal, un regroupement de TMX et LSEG accélérerait même les ambitions d'Alpha dans ce marché.

«Pour le moment, TMX et LSEG font des promesses envers la continuité et l'essor du mandat de Montréal dans les dérivés. Mais ces promesses font fit des coûts de transaction au Canada qui sont beaucoup plus élevés qu'ailleurs, explique le PDG d'Alpha.

«Par conséquent, que se passerait-il avec la Bourse de Montréal dans quelques années si, par exemple, le groupe TMX-LSEG dirigé de Londres achetait une Bourse de dérivés à faibles coûts située en Asie, où ce marché est en plus forte croissance? Est-ce qu'on sabrerait les activités à Montréal pour les rediriger vers cette nouvelle filiale à bas coûts?»

C'est dans ce contexte que les dirigeants d'Alpha préparent leur entrée dans les dérivés, dans un an ou deux.

Entre-temps, Alpha participera à l'appel d'offres imminent des autorités financières canadiennes pour la nouvelle «chambre de compensation» des dérivés hors-cote.

Une telle chambre sert de carrefour réglementé pour régler les transactions entre courtiers, pour leurs clients-investisseurs.

La Bourse de Montréal et sa filiale de compensation CDCC seront aussi du prochain appel.

Mais, selon le PDG d'Alpha, la possibilité que CDCC passe aussi sous contrôle londonien devrait interpeller les autorités canadiennes.

«Le Canada pourrait perdre la propriété d'un organisme qui serait au coeur du fonctionnement de son marché des dérivés. C'est un risque assez grave qui devrait exclure CDCC d'un regroupement entre les Bourses de Toronto, Montréal et Londres.»

Cette mise en garde, le PDG d'Alpha l'a faite devant un comité spécial de la législature ontarienne. Il la répétera au cours des audiences spéciales qui seront tenues par la CVMO en Ontario et l'AMF au Québec.