Le léger redressement des taux sur les obligations venant à échéance dans 10 ans auquel on assiste depuis quelques semaines n'est pas encore le prélude à l'effondrement du marché que d'aucuns prédisent depuis plusieurs années.

La raison en est fort simple, explique Vincent Delisle, stratège chez Scotia Capitaux. En dépit de la forte poussée des actions depuis août, il y a eu des sorties de capitaux des marchés boursiers en septembre et octobre, car un sentiment «bizarre» anime les investisseurs: «Ils vendent les actions en pleine reprise boursière, écrit-il dans la dernière livraison de la lettre Daily Edge. À notre avis, ces flux ne vont pas revenir dans les actions tant que la performance du marché obligataire ne décevra pas franchement. Cela pourrait mettre des années.»

La Bourse américaine et, dans une moindre mesure, la canadienne traversent un cycle baissier de longue durée (secular bear market). Il aurait commencé avec l'éclatement de la technobulle en 2000, quand les actions se négociaient à 30 fois les bénéfices estimés alors que la moyenne historique est de 15.

Durant les 10 dernières années du cycle haussier, le rendement annuel moyen de l'indice S&P 500 avait aussi été de 17%, alors que la moyenne historique est de 4%.

Même si la reprise se confirme au cours des prochains mois, les sorties de capitaux de la Bourse vers les obligations vont continuer. Quand prend fin un cycle baissier de longue durée, explique M. Delisle, le ratio cours-bénéfice est loin dessous sa moyenne historique, malgré le fait que les entreprises génèrent des profits à la hausse depuis plusieurs trimestres.

M. Delisle a estimé que, depuis 2009, 615 milliards ont été placés aux États-Unis dans des fonds communs obligataires, alors que 3,1 milliards sont sortis des fonds en actions. Et pourtant, le S&P 500 a gagné 70% depuis son creux de mars 2009.

À l'apothéose du marché boursier haussier en 1999 et 2000, 497 milliards avaient été investis dans des fonds en actions alors que quelques dizaines de milliards sortaient des fonds obligataires.

La reprise boursière actuelle est surtout nourrie par les grandes attentes d'une nouvelle détente monétaire de type quantitatif orchestré par la Réserve fédérale (Fed). En actionnant la planche à billets jusqu'à concurrence de 500 à 2000 milliards supplémentaires selon les prévisions divergentes des experts, la Fed a deux objectifs: stimuler l'activité économique pour réduire le chômage et relancer l'inflation. En procédant par l'achat d'obligations, elle vise aussi à s'assurer que les taux restent bas ou, en d'autres termes, que les obligations soient chères. D'où les perspectives de rendement intéressantes pour les investisseurs toujours allergiques au risque.

Le revirement du marché sera peut-être douloureux pour les détenteurs d'obligations, prédit M. Delisle. Il surviendra quand le taux de chômage sera significativement plus faible aux États-Unis. Dans deux ans, peut-être trois.

D'ici là, les reprises boursières seront éphémères.