On entendra beaucoup parler d'Amazon en 2018. La recherche d'une ville pour y établir son second siège social battra son plein. Montréal est dans la course, comme 237 autres villes en Amérique. Que doit-on en espérer ?

Il a coulé beaucoup d'eau sous le pont Jacques-Cartier depuis la date fatidique de remise des soumissions, le jeudi 19 octobre. Entre autres choses, les Montréalais ont élu une mairesse à l'hôtel de ville. La nouvelle locataire de la mairie de Montréal devient d'office présidente de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM).

Montréal International (MI), organisme régional de promotion économique qui a obtenu le mandat de la CMM de préparer la soumission pour Amazon, a présenté à Valérie Plante les grandes lignes de la proposition faite au géant du commerce en ligne. Le contenu lui a plu, et elle l'a avalisée à son tour, nous dit-on chez MI.

« Il y a eu une communication entre la mairesse et le siège social d'Amazon pour dire que la nouvelle administration de la Ville de même que la nouvelle présidence à la CMM sont encore d'accord avec ce qui a été proposé à Amazon en octobre. » - Stéphane Paquet, vice-président, Investissements étrangers & Organisations internationales, chez MI

Une liste préliminaire de 20 à 30 villes retenues pour analyse approfondie doit sortir en 2018. Au départ, les villes l'attendaient avant la fin de 2017, mais comme il y a eu plus de villes candidates que prévu, cette prochaine étape a été repoussée à 2018.

Amazon cherche une ville pour y loger 50 000 employés ayant un salaire moyen de 100 000 $US dans des immeubles d'une superficie de 8 millions de pieds carrés : un investissement total de 5 milliards US.

LA RÉFORME FISCALE, UN DÉSAVANTAGE

Par ailleurs, la réforme de la fiscalité américaine, qui vient abaisser le taux d'imposition des revenus des sociétés à un niveau similaire au taux moyen en vigueur au Canada, élimine un argument en faveur des candidatures de villes canadiennes, reconnaît-on chez MI, avant d'ajouter que l'essentiel du message reste toujours aussi pertinent.

« On pense, dit M. Paquet, qu'Amazon va choisir une ville où les jeunes travailleurs vont avoir envie d'être. Toute la trame narrative de notre document de 160 et quelques pages, c'est : regardez, vivre à Montréal, c'est le fun. »

« Les jeunes adultes aiment ça, vivre ici. C'est le meilleur endroit pour y élever une famille. Oui, la fiscalité des particuliers est élevée. Au final, avec le filet social qu'on a, il t'en reste plus dans les poches. » - Stéphane Paquet

Quoi qu'en pense le représentant de MI, Montréal aura fort à faire pour passer à l'étape suivante. Son nom n'est jamais mentionné parmi les candidatures jugées comme favorites : Atlanta, Washington, Austin, Boston et New York.

Du côté des parieurs, Atlanta et Austin apparaissent comme étant les villes favorites, à 3 contre 1, selon le site Paddy Power, d'Irlande. Toronto est à 16 pour 1 et Vancouver, à 50 pour 1. La cote de Montréal n'était pas affichée sur le site le 29 décembre.

La Ville Reine ne propose aucun incitatif financier particulier, mais répond à chacun des critères évoqués par l'entreprise de Seattle. Le premier ministre canadien Justin Trudeau, aussi député montréalais, signe un mot d'appui dans le document de présentation. Parmi les endroits susceptibles de recevoir le détaillant du XXIe siècle figure le CIBC Square au centre-ville, qui appartient à la Caisse de dépôt.

Toronto a dévoilé publiquement son offre à Amazon, contrairement à bien d'autres, dont Montréal.

Les rares informations rendues publiques en provenance de villes américaines prouvent que la concurrence est vive : congé de taxes pendant 30 ans, don de terrain ou encore incitatifs financiers qui dépassent le milliard US.

LES VILLES FAVORITES

WASHINGTON, DC

Jeff Bezos possède le Washington Post. Le district de Columbia a donné un contrat de 140 000 $ à une firme de marketing pour l'aider à concevoir sa proposition, soit plus que la plupart des autres villes. Les finances sont saines et le bassin de talent est indéniable. Le montant des incitatifs est gardé secret. Toutefois, les autorités ne sont pas reconnues pour leur générosité à l'égard des sociétés.

Sources : Bisnow.com et MSN.com

FRESNO, CALIFORNIE

Ville au coeur d'une région métropolitaine de tout juste 1 million d'habitants, Fresno propose de placer 85 % des taxes qui seront payées par Amazon dans un fonds spécial qui sera géré en collégialité avec le détaillant virtuel dans le but d'investir dans le logement, les routes et les parcs. De plus, le gouverneur de l'État de la Californie offre 300 millions US en crédits d'impôt si l'une des villes californiennes est retenue.

Sources : Seattle Times et PBS/Making Sense

DETROIT, MICHIGAN

La ville de l'automobile présente une candidature commune avec sa voisine canadienne Windsor. Elle offre un congé de taxes locales pendant 30 ans, tout en permettant à Amazon de conserver pour elle les taxes payées par ses employés. L'État du Michigan s'est aussi engagé à investir 120 millions US pour former des travailleurs dans les TI. Outre 106 millions en crédits de taxes et subventions, Windsor fait miroiter les généreux crédits en R-D du Canada.

Sources : Detroit Free Press et Cains' Detroit Business

ATLANTA, GÉORGIE

Moody's met en lumière la solidité de l'économie régionale comptant 6 millions de personnes et le coût raisonnable pour y exploiter une entreprise. Plaque tournante aérienne du Sud-Est, la ville a un bassin de 130 000 travailleurs en TI, nourris par des établissements comme Georgia Tech. Atlanta accueille déjà le siège de sa division AWS, et plusieurs centres de distribution sont établis dans l'État de la Géorgie. Toutefois, les transports en commun restent inadéquats et son aéroport Hartsfield-Jackson International a été plongé dans le noir pendant 11 heures le 17 décembre.

Sources : Dallas Morning News, Seattle Times, CNBC, Moody's analytics

BOSTON, MASSACHUSETTS

Ville étudiante par excellence, Boston a déjà su plaire à Amazon, qui y a ouvert un bureau employant 900 personnes (sans lien avec le HQ2). Son offre a été rendue publique comme à Toronto, mais les incitatifs financiers n'ont pas été dévoilés. La qualité des transports collectifs est un atout. La région a mis en évidence le site de Suffolk Downs, un ancien hippodrome. Le coût pour y faire des affaires y est néanmoins élevé, tout comme le coût de la vie.

Sources : Boston Business Journal, Moody's analytics, Boston Amazon HQ2 Bid Request for Proposal Response

CHICAGO, ILLINOIS

Le maire Rahm Emanuel propose 2 milliards US en incitatifs, crédits de taxes et investissements dans les infrastructures. Ville universitaire et métropole du Midwest, elle dispose de terrains pour accommoder le détaillant de l'avenir, comme au Lincoln Yards. Les finances publiques de l'Illinois sont dans un état désastreux et les taxes locales sont élevées.

Sources : Chicago Tribune et CNBC

NEWARK, NEW JERSEY

L'État du gouverneur Chris Christie s'est engagé à verser 7 milliards US à Amazon en crédits d'impôt et autres avantages financiers. Les loyers y sont au moins moitié moins chers qu'à Manhattan ou à Brooklyn. Les transports en commun sont une force. Amazon y emploie déjà 5500 travailleurs dans ses entrepôts. Bientôt, 2000 s'ajouteront. Le studio Audible, appartenant à Amazon, emploie 1000 personnes dans des locaux situés à l'école de commerce Rutgers.

Sources : Retail Touch Points et New York Times

LE PLAN D'AFFAIRES DÉCORTIQUÉ

Détaillant du présent et de l'avenir, Amazon bouleverse le monde du commerce de détail. Mais quel est son plan d'affaires ? Une firme de gestionnaires de portefeuille a scruté la question au bénéfice de nos lecteurs.

« Amazon, ce n'est pas juste un détaillant en ligne, c'est un mail virtuel qui attire 300 millions de clients par an », soutient Pierre-Olivier Langevin, gestionnaire de portefeuille chez Medici et coauteur de l'analyse sur le titre d'Amazon réalisée pour le compte de La Presse.

Amazon est le locataire principal de son mail numérique et elle se donne des airs de Costco avec 30 millions de produits offerts aux membres (service PRIME payant) et aux non-membres.

La société de Jeff Bezos joue aussi au locateur de boutiques avec son service Marketplace. Elle perçoit des loyers sous forme de commissions de 15 % sur les ventes brutes réalisées par les tiers qui offrent collectivement 570 millions de produits. Incidemment, c'est 20 fois plus de produits que Walmart.

Répartition des revenus d'Amazon

(12 derniers mois, incluant les résultats de Whole Foods, en date du 3e trimestre 2017)

• Ventes directes : 58 % du total ou 103,8 milliards US

• Commissions sur ventes tierces (Marketplace) : 16 % ou 28,8 milliards US

• Abonnements (Prime, musique, vidéo) : 5 % ou 8,7 milliards US

• Publicité : 3 % ou 5 milliards US

• Amazon Web Services : 9 % ou 5,9 milliards US

• Whole Foods : 9 % ou 15,7 milliards US

À QUOI RESSEMBLERA L'AMAZON DE DEMAIN ?

« Une fois bien positionnée dans les produits faciles à vendre en ligne, Amazon se transformera en un détaillant multicanal avec les produits plus difficiles à vendre en ligne », avance M. Langevin. C'est d'ailleurs commencé en épicerie, avec Whole Foods. D'autres magasins physiques suivront, prédit-il, dans les vêtements, les meubles lourds, les pièces d'autos, les médicaments et les pièces d'usinage.

CINQ CHOSES À SAVOIR SUR AMAZON

LIVRAISON SUBVENTIONNÉE

Comme Amazon n'a pas de magasins physiques, l'argent ainsi libéré sert à subventionner 50 % de la livraison au client. Un modèle soutenable à terme, car elle échange un coût de transport pour un coût de magasin, estime Medici. Son immense réseau de centres de distribution (94,3 millions de pieds carrés aux États-Unis) hautement automatisés et adaptés à la livraison de commandes individuelles lui permet de stocker un produit près de son utilisateur final. Ce qui lui permet d'offrir le service de livraison rapide à un coût raisonnable.

IMPORTANT ANNONCEUR

Avec un budget de publicité de 5 milliards US, Amazon est probablement l'un des plus grands acheteurs de publicité sur Google sous forme d'AdWords. En contrepartie, Amazon empoche des revenus de publicité sur son site de 4 milliards US.

PLUS RENTABLE QU'IL N'Y PARAÎT

Son profit vient pour l'instant de sa division AWS (BAII ou bénéfice avant impôts et intérêts de 3,9 milliards US). « La division au détail a un BAII négatif de 600 millions US. Nous avons raison de croire qu'Amazon pourrait être rentable demain matin, sans devoir hausser le prix de ses produits, si seulement elle coupe en R-D et en publicité », soutient Medici.

SOLDES FINANCÉES PAR DES GAINS DE PRODUCTIVITÉ

Ses rabais sont financés entre autres par des gains d'efficience. « Trois économistes ont écrit un papier qui conclut qu'Amazon a réduit son coût de transport de 50 % entre 2006 et 2016 et, pendant cette période, elle a réduit le prix de ses marchandises de 40 %. Autrement dit, elle refile tous ses gains d'efficience au consommateur au lieu d'augmenter sa profitabilité », écrivent les auteurs de l'analyse, Aaron Lanni et Pierre-Olivier Langevin.

DES ALGORITHMES FIXENT LES PRIX

Amazon réduit ses prix sur les produits-vedettes pour gagner des parts de marché, par exemple dans le secteur des couches jetables. « Si Amazon voit qu'un produit sur Marketplace se vend bien, mais que le vendeur fait une trop grosse marge, Amazon peut décider de le vendre elle-même à meilleur coût. Le détaillant utilise des algorithmes pour constamment ajuster le prix de ses produits, parfois plusieurs fois par jour pour un même produit. Un détaillant traditionnel n'a pas ce luxe. »