Le vaste projet de loi de Québec sur le secteur financier, actuellement à l'étude, permettrait de réintroduire l'assurance de frais funéraires, interdite au Québec depuis 1974. Mais la mesure ne fait pas l'unanimité.

Les salons funéraires Alfred Dallaire Memoria, Magnus Poirier et Résidences funéraires Goyer ainsi que la Coalition des associations de consommateurs du Québec s'y opposent fermement. Ils invitent la population à signer leur pétition en ligne sur change.org.

Un client qui souscrit une assurance funéraire paiera des primes pendant une période donnée, par exemple 15 ans, en échange d'un montant d'assurance versé à sa succession à son décès, même si celui-ci survient après la période de versement des primes.

La présidente d'Alfred Dallaire Memoria, Jocelyne Dallaire-Légaré, se bat contre l'assurance funéraire depuis près de dix ans. Elle s'explique mal pourquoi le gouvernement s'acharne à vouloir légaliser un produit qui est désavantageux pour les consommateurs par rapport aux contrats de préarrangements offerts par les maisons funéraires.

« Je ne vois pas pourquoi je me mettrais à vendre des assurances ! Je ne veux pas me transformer en distributeur de produits d'assurance et accroître la rentabilité d'une compagnie d'assurances. Les préarrangements fonctionnent déjà très bien. »

- Jocelyne Dallaire-Légaré, présidente d'Alfred Dallaire Memoria

Selon une étude réalisée à l'automne 2017 par Alfred Dallaire Memoria, les clients peuvent payer jusqu'à 80 % de plus avec une assurance funéraire. Car, prétendent-ils, les clients paieront généralement leurs primes sur une période beaucoup plus longue que les cinq ans habituellement prévus dans le cas des préarrangements funéraires.

« Est-ce que c'est vraiment ça qu'on veut offrir à nos clients ? se demande Patrice Chavegros, vice-président, ventes et service à la clientèle, chez Magnus Poirier. Prenez ce client qui a déjà payé plus cher. Si en plus, au moment du décès, les prix des services funéraires ont augmenté par rapport au montant d'assurance prévu, c'est la succession qui devra payer la différence. Les préarrangements, c'était justement une solution pour mettre la succession à l'abri. »

UN AUTRE « PROBLÈME »

En plus des coûts plus élevés pour le client, la Coalition des associations de consommateurs du Québec soulève un autre problème.

« Le projet de loi prévoit que si vous mourez dans les deux années suivant la conclusion du contrat funéraire, l'assureur pourra dire : "Désolés, on vous rembourse seulement les primes payées" », affirme Jacques St-Amant, analyste pour la Coalition.

Dans ce cas précis, le Barreau du Québec a fait part de ses préoccupations dans un mémoire présenté à la Commission des finances publiques. « L'élément de risque dans ce type de produit semble inexistant pour l'assureur puisque les primes sont équivalentes à la valeur marchande des biens et services. » Aussi, note le Barreau, si la personne meurt avant deux ans, la succession n'aura qu'un remboursement de primes et devra assumer la différence pour les services funéraires.

L'entreprise Assurant offre un type d'assurance similaire au Québec (appelé régime d'assurance décès) grâce à une dérogation spéciale du gouvernement. Quand l'un de ses clients meurt de cause naturelle au cours des deux premières années de paiement de la police, seules les primes payées sont remboursées, avec un taux d'intérêt de 10 %. Lorsque le décès est accidentel, l'indemnité est payée en totalité.

UN PRODUIT POUR LES MOINS NANTIS, SELON LA FADOQ

Le Réseau de la Fédération de l'âge d'or du Québec (FADOQ) voit pour sa part l'arrivée de l'assurance funéraire d'un bon oeil. Selon lui, c'est un outil nécessaire pour ceux qui n'ont pas les moyens de léguer à leurs proches de l'argent destiné à leurs funérailles et qui n'ont pas non plus les moyens de se payer des préarrangements.

« Si on n'avait pas la possibilité d'avoir une hypothèque, il y a beaucoup de gens qui n'auraient pas de maison. On est tous conscients qu'en contractant une hypothèque ou, dans ce cas-ci, une assurance funéraire, on va payer plus cher que si on avait l'argent pour payer. »

- Danis Prud'homme, directeur général du Réseau FADOQ

« C'est comme ça, les outils financiers. Il n'y aurait pas ces produits-là s'il n'y avait aucune possibilité pour la compagnie qui l'offre de faire de l'argent. »

La Corporation des thanatologues du Québec s'est dite rassurée par la loi 141, qui exclut toute sollicitation de la part des compagnies d'assurances. La loi prévoit que la vente de contrats d'assurance sera faite par les maisons funéraires. Elles pourront donc offrir à la fois les préarrangements et les assurances funéraires.

« La Corporation a demandé dans son mémoire que les conseillers soient bien formés, parce que le consommateur aura besoin d'aide pour faire un choix éclairé entre les deux produits, soutient Annie Saint-Pierre, directrice générale de la Corporation. C'est du cas par cas, ça dépend de votre âge, des délais de paiement, des rendements et de l'espérance de vie. »

Dans un courriel, le cabinet du ministre des Finances nous a expliqué que le gouvernement répondait à un besoin criant des Québécois qui n'ont pas les moyens de décaisser des sommes importantes pour acquitter des frais de préarrangements funéraires.

Joint par La Presse, le planificateur financier Denis Preston conseille aux consommateurs d'accumuler eux-mêmes un montant destiné aux services funéraires dans un CELI ou un autre compte. Si vous croyez que vous n'aurez pas assez de liquidités à votre décès, M. Preston suggère de prendre une assurance vie qui peut couvrir les frais funéraires.