Un cégep privé, une agence de danseuses nues et plusieurs fortunes du monde des affaires. Voilà le genre de clients québécois qu'a recruté la Stanford International Bank, cette institution accusée d'une fraude monumentale.

La Presse Affaires a obtenu une liste des clients canadiens qui avaient fait confiance au financier Allen Stanford. L'homme et ses complices sont accusés d'une fraude de 7,2 milliards de dollars US. La liste a été produite par le séquestre américain qui gère cette affaire, Ralph Janvey.

Des quelque 215 clients canadiens de la liste, 106 ont leur adresse de résidence au Québec. Les fonds investis par les Québécois s'élèvent à 19 millions US, selon cette liste, soit 43% du total canadien.

Tout indique que les victimes de cette présumée pyramide «à la Ponzi» ne récupéreront qu'une petite partie de leurs placements dans cette affaire. La banque avait son siège social dans le paradis fiscal d'Antigua, mais ses activités se déroulaient dans 113 pays. Montréal avait un bureau de représentation.

Le Collège LaSalle

Parmi les plus touchés figurent le Collège LaSalle et la Fondation du Collège LaSalle. Cette institution privée de niveau cégep, qui fait dans la mode, avait placé quelque 755 000$US dans cette institution, selon la liste obtenue par La Presse.

Si l'on inclut la Fondation du Collège et le holding de l'ex-dirigeant Jacques Lefebvre, les sommes investies dans la Banque Stanford approchent le 1,4 million US.

Le Collège LaSalle fête son 50e anniversaire cette année. Bon an mal an, il accueille 3000 élèves sur son campus de Montréal, rue Sainte-Catherine Ouest. Le Collège a également des écoles dans divers pays, dont le Maroc, la Colombie et la Turquie. Au moment de mettre sous presse, les dirigeants n'avaient pas répondu à nos nombreux appels.

Artopex

Le plus important client canadien est un Albertain (6,6 millions US), suivi du Québécois Daniel Pelletier, président et principal actionnaire du fabricant de meubles Artopex, de Granby.

Selon la liste, Daniel Pelletier a des avoirs de 4,8 millions US dans la Banque Stanford, placés par l'entremise de sa société de portefeuille. Cette même société de portefeuille est indirectement le principal actionnaire d'Artopex, selon le registre des entreprises.

Joint au téléphone, Daniel Pelletier soutient avoir «beaucoup moins d'argent aujourd'hui» dans l'institution que ce qui figure sur la liste puisqu'une patrie «est récupérée, même si je ne l'ai pas eue dans mes poches encore...»

Les fonds ont été placés dans la banque par divers canaux depuis sept ou huit ans, explique M. Pelletier. L'argent a donc été investi avant même l'ouverture du bureau de représentation de Stanford à Montréal, en 2004. «On est en poursuite contre eux. Ce sont mes placements personnels, sans rapport avec Artopex. La situation financière d'Artopex n'est nullement affectée», a dit M. Pelletier au téléphone.

Artopex compte quelque 480 employés dans ses usines de Granby, Laval et Sherbrooke. En 2008, ses revenus s'élevaient à 72 millions, selon le répertoire Les Affaires 500. Le fabricant de meubles a récemment remporté le titre d'entreprise de l'année aux Mercuriades.

Daniel Pelletier soutient qu'il obtenait avec la Stanford un à deux points de pourcentage de plus en intérêts que les placements concurrents, mais guère plus. Les placements n'ont pas été faits pour tirer des avantages fiscaux, «tout est déclaré, rien n'est caché», dit-il.

Des danseuses nues

Ce n'est pas le cas de toutes les victimes. L'un des clients de la liste, Agence érotique 2000, a candidement admis que les placements étaient exempts d'impôt.

Agence érotique 2000 est une entreprise de placements de danseuses nues située rue Sainte-Catherine Est, près du pont Jacques Cartier, à Montréal. L'entreprise avait plus de 500 000$CAN dans la Banque Stanford, nous indique l'un des représentants de l'entreprise, qui nous a demandé de taire son nom.

Le placement a été vendu par un fiscaliste de Laval. «Notre fiscaliste nous disait qu'en investissant là-bas, on aurait un super gros retour (NDLR: rendement) sur les intérêts, soit une dizaine de pour cent par année. Et que vu que c'était aux Bahamas (NDLR: Antigua), eh bien, il n'y avait pas d'impôts là-dessus, que c'est un genre de paradis fiscal. Il nous disait que le placement commençait à être payant si on le laissait au moins cinq ans», a-t-il expliqué.

L'homme dit ne pas se souvenir du nom du fameux fiscaliste, dont les bureaux seraient situés dans un centre commercial de Laval. Heureusement, cette mésaventure ne mettra pas l'Agence érotique en faillite, dit-il. «Non non non, mais c'est fatigant. On attend le remboursement (NDLR: du séquestre de faillite).»

Équipement de hockey Bauer

La liste de la Banque Stanford comprend au moins une famille québécoise qui a eu maille à partir avec le fisc ces dernières années. Il s'agit de la riche famille Olivieri, de Westmount.

Il y a deux semaines, le 10 septembre, la Cour suprême du Canada a refusé d'entendre l'appel de la famille concernant un litige fiscal qui dure depuis 15 ans. Essentiellement, le litige portait sur le gain tiré de la vente de l'entreprise Canstar Sports (patins Bauer) à la multinationale Nike, en 1994.

La transaction a rapporté 252 millions à la famille Olivieri, à l'époque, mais sa structure a été telle qu'elle a permis d'éviter le paiement d'au moins sept millions de dollars au fisc québécois. Après 15 ans de débats juridiques, Québec vient de gagner en Cour suprême, une victoire qui devrait lui rapporter près de 20 millions en incluant les intérêts et pénalités.

La famille Olivieri se retrouve à trois endroits sur la liste de la Banque Stanford. Les placements n'ont pas de liens avec l'affaire Canstar.

D'abord, la société 1339097 Alberta, qui a comme adresse la résidence des Olivieri, à Westmount, y a des avoirs de 456 843$US, selon la liste. Jacopo Olivieri y a également un compte personnel, qui semblait vide en date du 22 février 2009. Enfin, la société Florestan Investments, toujours à la même adresse, y avait également un compte inactif en date du 22 février.

Parlant au nom de la famille, l'avocat fiscaliste Sydney Sweibel ne nie pas que les Olivieri aient eu des comptes avec la Banque Stanford. Toutefois, il affirme que tout a été encaissé avant le dévoilement du scandale, y compris l'argent de la firme albertaine. Selon Me Sweibel, les dépôts à terme avaient été offerts à la famille par un employé de la Stanford, à Montréal. Ils offraient un rendement un peu supérieur au marché. Tout a été déclaré au fisc.

LE SCANDALE STANFORD

Quoi?

Le 16 février, les fonds du Groupe financier Stanford ont été bloqués par les autorités américaines. Robert Allen Stanford et quatre complices sont accusés de fraude, le 18 juin. Le groupe était chapeauté par une banque, située dans le paradis fiscal d'Antigua et Barbuda.



Combien?


La fraude avoisinerait les 7,2 milliards US touchant 28 000 clients dans 113 pays. Au Canada, 224 investisseurs y auraient placé 308 millions US, selon des liquidateurs d'Antigua. Dans la liste obtenue par La Presse Affaires, produite par un séquestre américain, il est plutôt question de 215 clients canadiens et 44 millions US.

Comment?

La fraude s'apparenterait à un stratagème à la Ponzi, c'est-à-dire que les rendements des clients étaient payés à même les entrées d'argent d'autres clients et non les rendements sur les marchés financiers.