L'ex-PDG d'Amaya David Baazov, accusé de délit d'initié entourant l'acquisition de PokerStars pour 5 milliards US il y a quatre ans, soutient que la transaction était en péril quelques jours avant son annonce. Il n'aurait pas pu confier qu'il s'apprêtait à acheter PokerStars à un prix donné et à un moment précis, fait-il valoir dans un interrogatoire datant de 2015, mais dont l'enregistrement a été entendu cette semaine en cour. La route vers le plus important procès pour délit d'initié au Québec se poursuit.

PERQUISITION ET INTERROGATOIRE

Le 16 septembre 2015, quinze mois après l'acquisition de PokerStars par Amaya et six mois avant le dépôt des accusations, des enquêteurs de l'Autorité des marchés financiers (AMF) ont débarqué au domicile de David Baazov pour perquisitionner dans son cellulaire et des appareils électroniques. Ils ont aussi procédé à un interrogatoire d'une soixantaine de minutes dont l'enregistrement a été entendu cette semaine en salle de cour en prévision du procès. David Baazov, ses coaccusés Benjamin Ahdoot, Yoel Altman et trois entreprises font notamment face à des accusations de tuyautage, complot et manipulation des titres d'Amaya (aujourd'hui Groupe Stars) dans le contexte de l'acquisition de PokerStars, annoncée le 12 juin 2014.

« LA TRANSACTION ÉTAIT MORTE »

David Baazov soutient que l'acquisition de PokerStars est passée à un cheveu de ne jamais se concrétiser. « La transaction était morte en mai 2014. Elle est tombée à l'eau lorsque JP Morgan s'est retirée. Il n'y avait plus de banques. Ni Barclays. Ni Deutsche Bank. Rien. On pédalait. » Il a précisé que puisque l'ancien propriétaire de PokerStars avait exploité illégalement son site aux États-Unis dans le passé, les banquiers et investisseurs institutionnels craignaient que le département américain de la Justice cause des ennuis. « Personne n'était confortable. Blackrock est arrivé la fin de semaine du Memorial Day [fin mai] en 2014 pour amorcer une vérification diligente à la demande de Blackstone. Sans Blackrock, on ne bouclait pas la transaction. Deutsche Bank, Barclays et Macquarie sont arrivés le 5 juin. Ils ne pouvaient pas se commettre tant que Blackrock n'était pas là. »

« CES GENS SONT FOUS »

« Je n'ai rien à cacher », a lancé David Baazov à plus d'une reprise durant l'interrogatoire. « Je me faisais poser des questions à longueur de journée par beaucoup de gens. Mitch Garber [PDG de Caesars Acquisition Company] m'a notamment téléphoné à la fin d'avril ou au début de mai 2014 en me disant : "David, j'entends ceci et cela." Et il m'a rappelé deux semaines plus tard à nouveau. La réalité est la suivante : tu ne peux pas couler quelque chose d'aussi improbable. Vous voyez ce que je veux dire ? », a dit M. Baazov. « Non, car des gens près de vous hypothéquaient leur maison », lui lance l'enquêteur. « Alors ces gens sont fous. Ils sont 100 % fous », lance Baazov. Joint par La Presse hier, Mitch Garber n'avait pas de commentaires à formuler, si ce n'est pour dire qu'il entendait effectivement des rumeurs à l'époque.

« J'ÉTAIS CONFIANT »

David Baazov affirme que Yoel Altman - lui aussi accusé de délit d'initié - et Daniel Sebag, qui était chef des finances d'Amaya au moment de l'acquisition de PokerStars, n'accordaient que très peu de chances au projet de transaction de se réaliser. « Il [Altman] a fini par me dire que c'était impossible, stupide, et que je perdais mon temps », dit M. Baazov. 

« Il [Altman] a pourtant commencé à transiger dès le lendemain [de la rencontre du 2 décembre 2013 à laquelle il avait participé avec M. Baazov] », réplique l'enquêteur. 

« Il était formellement contre [la transaction], répond M. Baazov. Mais même s'il n'y avait qu'une infime chance de réaliser cette transaction, il fallait faire preuve de confiance et de volonté. J'étais confiant. Il fallait que je le sois. »

« ÇA ME CHOQUE »

Durant l'interrogatoire, l'enquêteur a appris à David Baazov que l'AMF procédait cette journée-là à une perquisition à la résidence d'un certain Michel Frenn parce que l'AMF avait retracé des échanges dans lesquels Michel Frenn demandait des informations privilégiées à David Baazov. « Il transmet vos réponses à Charbel Youwakim [ex-patron de Placements Manuvie à Dorval]. »

« No way. Incroyable », répond David Baazov. 

« Vous comprenez maintenant, dit l'enquêteur. Pendant que vous travaillez comme une bête et que vous accomplissez des choses formidables, tous ces gens autour de vous tentent d'obtenir des informations ou les obtiennent et font des montagnes d'argent. Le bureau en entier de Placements Manuvie a transigé avec ça », dit l'enquêteur. 

« Ça me surprend et ça me choque », réplique M. Baazov.

UN CALME DÉSARMANT

Lors de la perquisition et de l'interrogatoire, les enquêteurs ont noté l'attitude sereine de David Baazov. « J'ai participé à plusieurs perquisitions au cours de ma carrière dans des résidences où il y avait des jeunes enfants [M. Baazov a quatre enfants], ce qui provoque des réactions émotives. Je n'ai jamais vu quelqu'un garder son calme ainsi », a témoigné cette semaine l'enquêteuse Julie Paquin en marge de l'écoute de l'enregistrement. « Du début à la fin, il est resté calme, confiant et cordial », a-t-elle ajouté. « Il a été un parfait gentleman », a dit à son tour Elizabeth Guilbeault, l'enquêteuse qui a mené l'interrogatoire. « Il s'est montré très poli dans un contexte peu évident, précise-t-elle. C'est certain qu'il devait être stressé, mais je ne l'ai pas senti. »

Qu'arrivera-t-il de cet interrogatoire ?

Les avocats de la défense jugent que cet interrogatoire n'aurait pas dû avoir lieu, car ils avaient informé l'AMF du fait que David Baazov ne parlerait pas de façon volontaire. La défense veut savoir si l'interrogatoire sera utilisé durant le procès, car cela pourrait influencer leur décision de faire témoigner ou non David Baazov.