Le premier ministre québécois Philippe Couillard prévient qu'il «n'acceptera pas» qu'Ottawa freine un important projet du chantier naval Davie.

Le fédéral aurait suspendu l'attribution du contrat du projet Resolve, évalué à environ 700 millions de dollars, pour la conversion d'un porte-conteneurs en un navire de ravitaillement militaire au chantier situé à Lévis, selon différentes sources.

Le gouvernement libéral serait mal à l'aise face à la décision du gouvernement précédent d'attribuer le contrat à un fournisseur exclusif - et il doit composer avec le mécontentement des concurrents du chantier Davie à Halifax et Vancouver, qui ont vigoureusement critiqué l'entente.

Mais peu importe les motifs qui se cachent derrière cette hésitation du fédéral, «nous n'accepterons pas qu'il y ait un changement à la planification du projet», a tranché M. Couillard en point de presse en marge d'un événement à Ottawa, vendredi.

La suspension du contrat est d'autant plus inconcevable que tout est pratiquement déjà en place au chantier naval, a fait valoir M. Couillard.

«Le navire est dans le chantier. Il y a 250 travailleurs qui ont été déjà engagés, il y en a 400 autres qui doivent être engagés», a-t-il signalé.

Le premier ministre Couillard a néanmoins précisé qu'il n'avait pas encore reçu de «communication directe» du gouvernement fédéral dans ce dossier.

Mais il faudrait que cela se fasse dans les plus brefs délais, car «on n'est pas dans une situation où on peut prendre quelques semaines pour décider si on va de l'avant», a-t-il insisté.

À la voix de M. Couillard se sont ajoutées celles d'autres politiciens de l'opposition à l'Assemblée nationale.

La députée péquiste Martine Ouellet a exhorté le gouvernement de M. Trudeau à honorer l'engagement de l'ancien gouvernement conservateur, qui avait annoncé cet été la signature d'une lettre d'intention avec le chantier de Lévis pour doter la marine d'un ravitailleur.

Si le feu vert n'était pas donné, cela représenterait selon elle «un deuxième revers» pour le Québec en l'espace de quelques semaines de gouvernance libérale à Ottawa, après le refus des libéraux d'agrandir l'aéroport Billy Bishop, à Toronto, ce qui aurait permis à la compagnie aérienne Porter d'acheter des avions de la CSeries de Bombardier.

Philippe Couillard doit impérativement tout mettre en oeuvre et faire des représentations auprès du fédéral pour s'assurer que le contrat reste entre les mains du chantier Davie, insiste Mme Ouellet, qui se dit néanmoins peu optimiste par rapport aux chances du premier ministre de réussir.

«Ce serait important qu'il se tienne debout. On a connu son habitude de même pas être à genoux, mais d'être une carpette devant le gouvernement», a-t-elle pesté en entrevue téléphonique.

Le député caquiste François Paradis, qui représente la circonscription où se trouve le chantier naval, exhorte lui aussi le gouvernement Trudeau à prendre en considération à quel point les préparatifs sont avancés.

«Au chantier Davie, il faut comprendre qu'ils sont prêts à travailler. Le bateau est arrivé au début octobre, et il y avait cette lettre d'intention qui, dans mon esprit à moi, doit être respectée», a-t-il fait valoir lors d'un entretien téléphonique.

Le député fédéral conservateur Steven Blaney a abondé dans le même sens, se disant inquiet de la possibilité que le contrat échappe au chantier naval.

«Tout est prêt. Tout ce qu'il reste à faire, c'est mettre la signature finale, et c'est ce à quoi on s'attend du gouvernement libéral», a-t-il plaidé.

«Il y a des emplois en jeu, mais il y a également un besoin urgent pour la Marine royale canadienne, et c'est un projet qui est avantageux pour les contribuables», a enchaîné M. Blaney.

Le député du Nouveau Parti démocratique (NPD) Alexandre Boulerice a pour sa part accusé les libéraux d'abandonner tant les Forces armées canadiennes que les travailleurs du chantier naval.

«Nos militaires ont besoin d'équipements et les travailleurs de la Davie en ont assez de l'incertitude entourant ce projet», a déclaré M. Boulerice par voie de communiqué.

«Après des années de laxisme des conservateurs, c'est au tour des libéraux de faire la même chose sur le dos des travailleurs.»

De son côté, le Bloc québécois a souligné dans un communiqué que l'octroi de ce contrat de 700 millions de dollars était «vraiment la moindre des choses quand on pense aux 33 milliards de dollars en contrats que se sont partagés en 2011 les chantiers d'Halifax et de Vancouver».

Le porte-conteneurs Astérix, qui appartenait à un armateur grec, a été acheté en août 2014 par l'entreprise. En théorie, les travaux de conversion devaient être terminés à l'été 2017.

Exploité par un équipage civil, à qui s'ajouterait un groupe de militaires chargé des missions, le ravitailleur pourra être chargé de pétrole et de nourriture, en plus de servir d'hôpital dans des missions humanitaires.

En octobre, un responsable du projet avait affirmé que l'engagement financier du gouvernement fédéral se limitera à payer la location du bateau lorsqu'il sera prêt.

Un soutien financier a toutefois été fourni à l'entreprise pour l'acquisition de l'Astérix, avait indiqué le directeur du projet de conversion, Spencer Fraser.

Le secrétaire général de la CSN, Jean Lortie, a affirmé vendredi que la nouvelle de la suspension de la signature du contrat, annoncée par un reportage, a causé un choc.

«Véritablement ç'a été une bombe d'apprendre ça ce matin, puisque l'ancien gouvernement avait signé des lettres d'intention avec l'entreprise», a-t-il dit.

La CSN a demandé une rencontre officielle rapidement avec des représentants fédéraux pour en savoir davantage, mais M. Lortie a déjà reçu de sources gouvernementales la confirmation que le contrat est suspendu.

«Ça nous a été annoncé que le comité du cabinet fédéral avait suspendu le contrat jusqu'à nouvel ordre, ça c'est confirmé, a-t-il dit. On a des sources qui nous confirment que c'est suspendu et on en a d'autres qui refusent de nous répondre donc ce n'est pas bon signe non plus.»

Aucune raison claire n'a été donnée à la CSN concernant cette décision qui pourrait nuire à l'entreprise financièrement, a indiqué M. Lortie.

«Ça retarde et ça crée de l'insécurité parce que ses financiers vont poser des questions», a-t-il dit.