Pas facile de trouver des exemples de reshoring au Québec. Tant chez Manufacturiers et exportateurs du Québec qu'à la Fédération des chambres de commerce du Québec (FCCQ), on ne connaissait aucune entreprise qui avait rapatrié de la production ici ces dernières années.

Le phénomène existe, mais il se fait discret. Aux États-Unis, où la crise économique a frappé fort, les politiciens, au premier chef Barack Obama, ont misé gros sur la relance du secteur manufacturier dans l'espoir de doper la création d'emplois. Beaucoup moins au Canada, où la récession a fait moins de dommages.

Le ministre de l'Économie, Jacques Daoust, ne croit pas trop au reshoring. À ses yeux, le Québec ne peut pas vraiment concurrencer des pays comme la Chine ou le Mexique.

«Je ne suis pas contre le reshoring, mais ce n'est pas une stratégie que je vais développer», déclare M. Daoust en entrevue à La Presse Affaires. Selon lui, les projets de rapatriement de production requièrent beaucoup d'aide financière gouvernementale, ce qui ne cadre pas avec la vision les libéraux, qui promettent de sabrer l'«État subventionnaire».

«Plutôt que de ramener des usines de souliers, je préfère attirer des investissements dans de nouvelles technologies qui vont être là pour les prochaines décennies», lance-t-il.

Tous ne sont pas du même avis que le ministre. Louis Duhamel, conseiller stratégique au cabinet comptable Deloitte, est convaincu que le reshoring finira par devenir une réalité au Québec. «Toutes les tendances d'affaires qui voient le jour aux États-Unis finissent par traverser au Canada, ce n'est qu'une question de temps», affirme M. Duhamel, qui a participé en mars à une conférence sur la question organisée par la FCCQ.

Un pionnier: Korhani Home

Moji Korhani, copropriétaire de Korhani Home, une entreprise ontarienne qui vend des tapis à plusieurs grandes chaînes, dont Rona, Wal-Mart et Canadian Tire, n'a pas attendu que le reshoring devienne à la mode pour le mettre en pratique. En 2002, Korhani a ouvert sa première usine canadienne à Sorel-Tracy. Jusque-là, la totalité de ses produits était fabriquée à l'étranger.

«Nous allions à l'encontre des idées reçues, raconte M. Korhani. Les gens de l'industrie nous prenaient pour des fous!»

Aujourd'hui, 35% des tapis que vend Korhani sont fabriqués à Sorel-Tracy. Le reste provient d'Asie et d'Europe. L'entreprise vise 60% pour les prochaines années. En exploitant sa propre usine à proximité de ses principaux marchés, Korhani jouit d'un meilleur contrôle sur la qualité et peut changer plus rapidement les modèles en production.

Korhani a aussi obtenu la certification ÉcoLogo pour plusieurs de ses produits de Sorel-Tracy, grâce notamment à l'hydroélectricité québécoise et à l'utilisation de matières moins nocives. «En Chine, nous ne pourrions pas fabriquer des produits ÉcoLogo», dit Moji Korhani, qui soulève en outre les risques de vol de propriété intellectuelle dans ce pays.

Le jeune dirigeant se sent toutefois bien seul. «Nous espérions que le phénomène du reshoring prenne racine plus vite au Canada, confesse-t-il. Mais au moins les gens commencent à en parler.»

Un vétéran: Tristan

La chaîne de boutiques de vêtements Tristan n'a jamais cessé de fabriquer au Québec. L'entreprise exploite une usine de pantalons à Farnham, en Montérégie, et une fabrique de vestons à Cookshire-Eaton, en Estrie. Environ 170 personnes y travaillent.

«Nous voulions garder notre savoir-faire et nos employés, explique le président de Tristan, Gilles Fortin. Souvent, c'est moins compliqué et moins cher d'envoyer la production en Chine, mais pour faire du beau, ce n'est pas nécessairement le cas.» Le transport et la manutention de vêtements délicats sont particulièrement coûteux.

En plus de permettre un approvisionnement plus rapide des boutiques, les usines québécoises de Tristan facilitent la création de produits novateurs, comme des vestons lavables à la machine. «C'est plus facile de faire des tests quand l'usine est à côté», note M. Fortin.

Une PME déterminée: D-Gel

Pour D-Gel, le reshoring est une priorité. L'entreprise d'Acton Vale, en Montérégie, vend de l'équipement de ballon sur glace, de ringuette et de hockey-balle dans 25 pays.

Le directeur général de D-Gel, Stéphane Paradis, revient tout juste de Taïwan, où il a finalisé le rapatriement au Québec de la production qui était effectuée là-bas. C'est la quatrième fois que l'entreprise, qui emploie sept personnes, met fin à des contrats avec des usines en Asie. Les autres étaient situées en Chine et en Thaïlande.

«À terme, près de 80% de la production asiatique aura été rapatriée au Québec, et nous en sommes très fiers», relate M. Paradis. L'exercice a obligé D-Gel à améliorer sa qualité de production et sa productivité, ce qui lui a permis de décrocher des contrats de fabrication en sous-traitance pour d'autres entreprises.

Stéphane Paradis soutient que fabriquer au Québec ne coûte pas plus cher qu'en Asie. «Les gens oublient souvent les coûts cachés comme le dédouanement, l'entreposage et les deux ou trois voyages qu'il faut faire là-bas chaque année pour des suivis, estime-t-il. J'ai l'impression qu'il y a des entreprises qui vont en Chine pour les mauvaises raisons.»

Une firme aux aguets: Starfrit

Promotions Atlantiques, qui conçoit les articles de cuisine Starfrit, continue de faire fabriquer exclusivement en Chine. Pour la plupart des produits que l'entreprise longueuilloise commercialise, les coûts de fabrication demeurent beaucoup plus faibles là-bas qu'ici, indique son directeur général, Gilles Gosselin.

«On va commencer à regarder ça, glisse-t-il néanmoins. Pas à court terme, mais à moyen terme.» La hausse des tarifs douaniers pour les produits importés de Chine et de 71 autres pays, qui doit entrer en vigueur en janvier, fera partie de la réflexion des dirigeants de Promotions Atlantiques.

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PAS DE TOUT REPOS

La décision de rapatrier de la production au pays ne doit pas être prise à la légère. «C'est une belle aventure, mais ça prend de la débrouillardise», prévient Stéphane Paradis, de D-Gel, qui confie avoir trouvé «frustrante» la recherche de partenaires québécois fiables. «C'était difficile de dénicher des fournisseurs qui avaient la même vision que nous», déplore-t-il.

«Mon Dieu que je ne recommencerais pas! Combien de fois j'ai failli remettre les clés des usines?», s'exclame Gilles Fortin ,de Tristan, précisant cependant qu'aujourd'hui, les installations fonctionnent à plein rendement.

Dans ses magasins et sur son site web, Tristan met en vedette les vêtements fabriqués au Canada, mais l'entreprise ne mise pas trop sur cet avantage concurrentiel pour faire augmenter ses ventes. «Si ce n'est pas plus cher, ça fait plaisir aux consommateurs d'appuyer la fabrication canadienne, mais ce n'est pas un argument d'achat en soi», constate M. Fortin.

Pour l'instant, aucun détaillant canadien d'envergure n'a adopté d'initiative semblable à celle de Wal-Mart aux États-Unis pour encourager la fabrication au pays. Wal-Mart Canada a mis en place le programme Achat-Québec, mais celui-ci n'exige pas que les produits soient fabriqués ici. Il suffit que trois étapes de la mise en marché soient effectuées au Québec (conception, marketing, emballage ou distribution). Pis encore, la décision de Wal-Mart de favoriser les fabricants américains pour ses magasins des États-Unis nuit aux entreprises canadiennes.

Pour que le reshoring décolle vraiment ici, il faudra que les détaillants embarquent, croit Moji Korhani. «Ils doivent se soucier davantage de s'approvisionner au Canada, insiste-t-il. Dans leur esprit, c'est toujours moins cher d'aller en Chine. Ils doivent changer leurs habitudes et lâcher leurs feuilles de calcul erronées!»