Près de cinq ans après la levée du moratoire sur l'implantation de nouvelles porcheries, citoyens et promoteurs s'opposent encore sur certains projets, comme c'est le cas actuellement à Saint-Louis-de-Gonzague. Des citoyens s'inquiètent des risques, déplorent le manque de pouvoir des municipalités et questionnent la pertinence même de bâtir de nouvelles porcheries.

Nicole Boudreau garde huit enfants handicapés dans sa maison de la route 236, dans la municipalité agricole de Saint-Louis-de-Gonzague, à l'ouest de Beauharnois. Elle est bien où elle est, mais elle craint que ça ne puisse pas durer. Le fermier voisin veut construire une porcherie de 2800 bêtes.

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«Ça m'inquiète beaucoup», confie-t-elle à La Presse Affaires. Les fortes odeurs, les risques de contamination des eaux, le bruit du transport et la baisse potentielle de la valeur de sa maison sont autant d'éléments qui la font redouter la venue de cette porcherie.

Mme Boudreau n'est pas seule dans le camp des inquiets. Des citoyens ont produit une pétition de 450 noms pour s'opposer au projet.

Le maire de Saint-Louis et préfet de la MRC de Beauharnois-Salaberry, Yves Daoust, soutient que la grande majorité de la population gonzaguoise est contre le projet.

Le maire redoute un laisser-aller du producteur et un manque de supervision une fois la porcherie construite.

La municipalité a déjà été échaudée par le comportement répréhensible d'un abattoir où la production bovine dépassait largement la capacité des bassins d'eaux usées, et elle a déjà subi une contamination des puits par un amas de fumier.

«Le ministère de l'Environnement n'aura pas tout le temps un inspecteur au bout du champ, note M. Daoust. Qui supervise le plan de fertilisation de la porcherie (l'épandage de lisier)?»

Vérification faite, le ministère de l'Environnement procède aux inspections des porcheries selon le degré de risque établi au départ. Les établissements les moins à risque sont soumis à des vérifications aléatoires.

Les réticences au projet s'étendent au-delà de Saint-Louis, puisque des municipalités voisines appréhendent les désagréments et les risques de l'épandage du lisier sur les terres de la région.

«Le promoteur dit qu'il n'y aura pas de problème, note le maire de Saint-Stanislas-de-Kostka, Jean-Pierre Gaboury. Quand BP a présenté son projet d'exploitation pétrolière dans le golfe du Mexique, il n'y avait pas de problème. Peut-on avoir la sagesse de se prémunir cette fois?»

Mais n'en déplaise aux citoyens, à la municipalité et à la MRC, le projet du promoteur Richard Billette est tout à fait conforme aux règles.

Il a reçu l'aval du ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs (MDDEP) et respecte la réglementation municipale.

«On veut bien faire»

Richard Billette élève environ 5000 canards à Saint-Louis depuis une douzaine d'années. La porcherie lui permettrait de laisser tomber son deuxième emploi de mécanicien d'usine et de se consacrer à la ferme. Et de laisser une entreprise agricole plus achevée pour la relève, dit-il en montrant fièrement ses deux jeunes fils.

«J'ai confiance au projet, on est conformes, on veut bien le faire», affirme-t-il en recevant La Presse Affaires sur sa ferme.

Le projet, sur lequel il travaille depuis 2001, prévoit la construction de deux bâtiments et d'une fosse à purin, recouverte et établie dans un boisé pour limiter les odeurs.

Il convient toutefois que des odeurs se feront sentir les jours où il fera l'épandage du lisier sur 190 hectares de terres de Saint-Louis et Beauharnois. «Mais grâce au lisier, on remplace des engrais chimiques par des engrais naturels», note-t-il.

L'épandage des 4284 m3 de lisier par année représenteront l'équivalent de 2mm par année, précise Guy Lussier, ingénieur et agent immobilier qui accompagne M. Billette dans le projet.

Quant au transport par camion, on peut compter une moyenne de deux voyages par semaine, l'un pour les porcs et l'autre pour la moulée.

M. Billette serait propriétaire de la porcherie, mais pas des porcs qui y seront engraissés. Il élèvera plutôt sous contrat les animaux appartenant à un «intégrateur». Dans ce cas, l'intégrateur Mario Côté, par l'entremise de sa société Isoporc, a déjà manifesté son intérêt. M. Côté élève 700 000 porcs, dont la moitié par l'entremise de fermiers à contrat.

«À Saint-Louis, c'est un bon endroit sur le plan de la biosécurité», dit-il. Comme il n'y a pas beaucoup de porcs autour, il y a moins de risques de maladies.

Les mains liées

Mario Côté assure que les camions qui viendront livrer la moulée repartiront remplis de maïs de la région. «C'est l'un des meilleurs secteurs pour le maïs», précise-t-il.

Mais les opposants affirment que les retombées économiques sont presque inexistantes. Au mieux, un emploi sera créé pour l'exploitation de la porcherie.

Et le maire Daoust craint que les efforts pour dynamiser la croissance de la municipalité ne soient entravés par la porcherie.

Mais le conseil municipal de Saint-Louis a les mains liées. Comme le MDDEP a donné son aval et que le projet respecte la réglementation municipale, le conseil peut difficilement le rejeter. Il peut toutefois imposer cinq mesures d'atténuation des odeurs.

Mais avant d'émettre le permis de construction, «il faudra que Mario Côté vienne nous voir, lance Yves Daoust. Ça, ce n'est pas négociable.» «Je n'ai jamais refusé de rencontrer personne, au contraire», répond Mario Côté à La Presse Affaires.

Les opposants, qui déplorent que la municipalité ne dispose pas du pouvoir de dire non, n'ont toutefois pas dit leur dernier mot. Dans une lettre remise à la MRC, le regroupement de citoyens réitère sa désapprobation.

Et il demande que le projet, s'il devait aller de l'avant, réponde obligatoirement à toute une série de normes environnementales «modèles» pour atténuer les odeurs. Sans quoi l'établissement deviendra vite désuet, soutient le regroupement.

EN CHIFFRES 

7,88 millions

Nombre de porcs produits en 2009

14%

Part du PIB agricole qui provient des fermes porcines

56

Certificats d'autorisation accordés pour de nouvelles porcheries depuis 2005

104

Usines de surtransformation et de valorisation de produits du porc

8

Abattoirs conventionnés

1965

Nombre d'établissements de production porcine (2008)

14 126

Travailleurs de l'industrie porcine (2007)

1,6 milliard

Compensations d'assurance stabilisation versées aux producteurs de porcs entre 2006 et 2009

Sources: ministère de l'Agriculture, des Pêcheries et de l'Alimentation du Québec, ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs, Financière agricole. 

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État des lieux de l'industrie porcine: une entrevue avec le président de la Fédération des producteurs de porcs du Québec, Jean-Guy Vincent.