Elles sont jeunes et en croissance. Elles portent des noms ouverts sur le monde et ont une façon de travailler qui n'a rien à voir avec Mad Men. La Presse Affaires a rencontré quatre agences en marketing qui tirent leur épingle du jeu dans un marché local en perte de vitesse.

Le virus Circo de Bakuza

La stratégie est claire: entrer chez de grands groupes comme COTY, PUIG, LVMH et infecter peu à peu leur portefeuille de marques! Concevoir un contrat de design pour une marque de L'Oréal, par exemple, puis organiser un événement pour une autre du groupe, puis créer une campagne de marketing expérientiel pour une troisième...

Le virus est ravageur! Depuis 2009, Circo de Bakuza double son chiffre d'affaires d'année en année. Des 8 millions et plus engrangés en 2013, 65% proviennent de clients internationaux. À des Bell, Canadian Tire ou l'Opéra de Montréal (conception visuelle pour l'opéra Samson et Dalila) s'accrochent des Festival de films de Dubai, Adidas Originals et FIFA pour qui l'agence dessine des emballages, développe des fragrances ou organise des cérémonies d'ouverture, lors de mandats qui oscillent de 50 000$ à 3 millions. L'aménagement d'un service de design d'animation à même les bureaux de Montréal, où bossent 15 personnes (10 à Paris), ne renversera pas la tendance à la hausse des revenus.

Les trois dirigeants de Circo de Bakuza (les deux autres étant Roshan Soomarchun et Julie Brassard) n'ont pas froid aux yeux. Cette fois, ils aimeraient bien infecter l'organisation des Jeux olympiques de Rio en 2016! «Il faut souvent pousser la porte, constate Vincent Drolet, président et chef de production. Mais dès que ça titille au bout de la ligne, Roshan ramène le poisson dans la chaloupe!»

Pour ce faire, Circo de Bakuza espère tisser des liens avec des entreprises d'ici, telles des Pixmod qui ont illuminé l'ouverture des Jeux de Sotchi, pour s'afficher très fort devant des clients potentiels de taille. «Pourquoi ne pas s'entraider? demande Vincent Drolet. On a les mêmes moyens... limités! Je crois beaucoup au développement stratégique avec des partenaires qui ont des services et talents complémentaires.»

Le président souhaite aussi proposer une offre plus définie à ses éventuels clients. «On s'est lancés un peu partout ces dernières années, on a avancé par essais et erreurs, admet-il. On veut maintenant se concentrer sur ce qu'on fait de bien, rester une agence boutique tout en choisissant nos batailles. On recherche, par exemple, des mandats de plus grande envergure en design. Et on souhaite remporter au minimum un appel d'offres sur trois.»

Mais Circo de Bakuza souhaite avant tout s'éloigner des campagnes de marketing traditionnelles. «La communication s'événementialise! lance Vincent Drolet. Les annonceurs ne peuvent plus se permettre de seulement lancer un message. Ils doivent faire vivre des expériences pour se rapprocher des consommateurs. À cause des réseaux sociaux, entre autres, ceux-ci s'attendent à une relation privilégiée avec les marques. Au Canada, les clients semblent intéressés, mais ont beaucoup de difficulté à se lancer. Leur budget marketing est encore fortement consacré à la pub traditionnelle.»

Le jeu ouvert d'Open

Pour lancer son agence Open à Toronto, en 2010, Martin Beauvais (et son partenaire Christian Mathieu) n'a attendu du financement de personne. Il a pris sa carte de crédit! À Toronto depuis huit ans, cet ancien directeur de création de Taxi et BBDO a remis professionnellement les pieds au Québec, le printemps dernier, pour ouvrir une filiale d'Open à Montréal. Son atout cette fois? L'agence de publicité CarteBlanche à laquelle il a uni ses forces. «Ça facilite les choses pour s'implanter ici, avoue-t-il. Les dirigeants de CarteBlanche, qui ont la trentaine, ont fait des choses intéressantes. Ils osent... Comme nous, deux gars dans la quarantaine avec enfants et maison à payer, qui se sont lancés en affaires, à l'âge où on est supposé avoir un salaire et ne pas inquiéter son épouse!»

S'il opère d'abord de Toronto, là où les centres décisionnels se trouvent de plus en plus, Martin Beauvais revient à Montréal pour approcher des annonceurs qui souhaitent se faire voir dans le reste du Canada.

Jusqu'ici, Open a travaillé pour Newad, Toys «R» Us, Bombardier et la bière Old Milwaukee, notamment. «Pour» et «avec» ces annonceurs. Pour Damiva, fabricant de produits pour les femmes en ménopause et préménopause, Open a, par exemple, opté pour un partenariat avec participation aux profits plutôt que des honoraires. «On veut ouvrir la façon de travailler avec nos clients, loin des modèles des agences traditionnelles à la Mad Men, explique-t-il pour justifier le nom de son agence. Pourquoi les clients ne participeraient-ils pas aux réunions de création? On n'est pas en opposition avec eux. On leur présente d'ailleurs des ébauches de propositions plutôt que LA solution miracle! Et on ne boude pas s'ils ne les acceptent pas!

«Open, c'est aussi ouvrir les murs, car on engage des designers, des rédacteurs, mais pas des gens qui sortent forcément des écoles de publicité, ajoute-t-il par ailleurs. Pas des gens qui copient ce qu'ils ont vu à Cannes! Ça amène une fraîcheur dans la création.»

Martin Beauvais estime nécessaire un tel modèle, calqué sur les réalités financières des annonceurs. «Il y a beaucoup de pression sur les budgets publicitaires qui ne sont plus ceux d'il y a 20 ans, note-t-il. Il faut être imaginatif et débrouillard.»

À moyen terme, Martin Beauvais aimerait que le chiffre d'affaires d'Open («en croissance») soit réparti également entre Toronto et Montréal. En attendant, il se réjouit de diriger sa petite agence de 24 employés, peu importe ce qu'en pensent les épouses! «Je ne retournerais jamais en arrière, lance-t-il. On vient de déménager dans nos nouveaux bureaux à Toronto. Je lave les planchers et je crée! L'an dernier, on a gagné trois comptes de suite et on a fermé la porte aux nouvelles occasions d'affaires pour se consacrer à eux. Mais là, elle est de nouveau ouverte!»

Plus qu'un logo!

À tout juste un an d'existence, la firme Jump&Love a été primée deux fois plutôt qu'une au concours de design Grafika d'Infopresse, il y a deux semaines. Ses patrons, Marie-Hélène Trottier et Jean-Philippe Tardif, sont habitués aux reconnaissances (des dizaines de prix, alors qu'ils dirigeaient le service de design de l'agence de publicité Bleublancrouge), mais ils constatent que la roue tourne pour eux. «On approche habituellement les clients, affirme Marie-Hélène Trottier. Mais depuis un mois, en raison des médias et des prix Grafika, on est dans une relation inverse.»

Leur travail pour des Mobilia, Rudsak, le cabinet comptable Richter et la ferme biologique La Bergerie attire l'attention. Jump&Love a obtenu 600 000$ en chiffre d'affaires au terme de sa première année d'existence. «Il sera de plus de 1 million en 2014, estime Jean-Philippe Tardif. On a maintenant certains clients qui nous paient à l'année. Le défi va être de bien grandir.»

Les années d'expérience du couple peuvent-elles les aider à éviter les faux pas? «On est assurément plus efficaces sur les projets, souligne Marie-Hélène Trottier. Notre taux horaire n'est pas plus petit que celui des grandes agences, mais on est plus agiles.»

C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles Trottier et Tardif ont quitté le cercle des grandes agences où ils ont longtemps travaillé. «Pour des questions de souplesse, d'agilité et de liberté, trois choses dont le design a besoin, car on ne consacre habituellement pas de gros budgets au design», constate Marie-Hélène Trottier.

Le duo (et son partenaire Joe Lapalme) ne veut pas être approché simplement pour refaire un logo! Il souhaite être au coeur de la transformation d'une entreprise, quitte à travailler avec des gens d'autres disciplines. «Les grands changements de marque s'étalent sur plusieurs mois, soutient Marie-Hélène Trottier, qui participe en ce moment à la revitalisation du complexe 2020 University, à Montréal. Même avant qu'on commence à parler de look, il y a un travail en amont à faire.»

«On essaie de comprendre jusqu'où le client peut aller, ajoute Jean-Philippe Tardif. On est vraiment en immersion avec lui. Les marques ne peuvent plus juste étaler ce qu'elles vendent.»

Aux yeux de Jump&Love, toutes les facettes d'une entreprise ne devraient faire qu'un: ses produits, ses magasins-phares, sa communication, son marketing... L'un devrait influer sur l'autre. C'est d'ailleurs sur cet axe qu'il travaille avec Mobilia. «Il y a des marques pour lesquelles on ferme les yeux, comme Apple, et on peut imaginer ce que serait leur hôtel, leur voiture, raconte Jean-Philippe Tardif. Avec Dell et IBM, rien n'arrive! N'importe quelle marque devrait être capable de créer du rêve. Si une compagnie d'ordinateurs est arrivée à le faire...»

Tous ensemble chez WE_ARE

Sa blonde attendait leur troisième enfant. Qu'à cela ne tienne, Robert Gosselin a lancé le studio interactif WE_ARE au même moment, en 2010! Autrefois codirecteur de création interactive chez Sid Lee, le président de WE_ARE et son équipe développent des applications, sites internet et autres stratégies publicitaires pour les St-Hubert, Télé-Québec et Warner Bros. MTL. «On apporte aussi notre expérience aux PME [Les Encres Ultra, par exemple], un marché qui s'ouvre à nous, explique-t-il. On ne développe pas que des campagnes ponctuelles, mais des produits sur plusieurs années.»

WE_ARE attrape ainsi au bond des budgets publicitaires autrefois réservés d'abord à des campagnes traditionnelles. «Certains clients ont plus de vision, dit-il. Ils imaginent d'abord des campagnes interactives. Je le vois autant pour les grandes entreprises que pour les PME. On ne pense plus qu'aux campagnes de notoriété, mais à des efforts marketing qui amènent des résultats tangibles qu'on peut quantifier grâce notamment à Google Analytics.

«Jusqu'à tout récemment, les agences de pub avaient un grand rôle à jouer dans les campagnes interactives, ajoute Robert Gosselin. Là, on nous approche de plus en plus. Je n'irais pas jouer dans les campagnes imprimées ni télévisées, mais je suis capable de concevoir un mandat créatif interactif de A à Z.»

La firme de programmeurs qu'était au départ WE_ARE (et qui comptait un autre dirigeant, parti depuis) a lentement accueilli designers et stratèges, en quatre ans. «Alors qu'avant, il y avait 10 programmeurs pour un chargé de projets», se rappelle le président de 37 ans. De 2010 à 2014, le chiffre d'affaires de WE_ARE a décuplé, passant de 150 000$ à 2 millions. Ses 22 employés déménageront bientôt dans un local deux fois plus grand dans la Petite-Italie, à Montréal. «J'attends des confirmations pour d'autres projets et je devrai alors recruter», affirme Robert Gosselin.

Cette croissance donne-t-elle des idées de grandeur à son président? Est-il dans la ligne de mire d'acheteurs potentiels? Robert Gosselin chérit son indépendance, pour l'instant. «Je crois beaucoup à la croissance organique, graduelle, dit-il. Je préfère être une boutique spécialisée. Je crois en une entreprise de 30 personnes, agile. J'ai des visées sur New York, mais pas expansionnistes. On est rendus à une taille où on peut choisir les projets qui nous allument. Cela dit, j'agis aussi en start-up parfois. Chaque année, pendant une journée, je regroupe les employés pour développer des idées. Des applications sont nées de ces journées. Mais ça reste ludique.»