Deux des plus grandes puissances mondiales - le Japon et l'Allemagne - manquent cruellement de main-d'oeuvre qualifiée. Le vieillissement prématuré de ces colosses industriels oblige les gouvernements à chercher des solutions à l'étranger.

C'est une situation pour le moins paradoxale: alors que l'Europe dénombre quelque 25 millions de chômeurs, un record, certains pays sur le continent cherchent désespérément des travailleurs qualifiés pour faire tourner leurs usines.

Conséquence d'un taux de fertilité insuffisant - 1,5 enfant par femme en âge de procréer -, le vieillissement de la population en Europe se fera cruellement sentir sur le marché du travail dans quelques années. Les spécialistes chiffrent le fossé entre l'offre et la demande de travailleurs à 60 millions de personnes d'ici 2040. Presque deux fois la population du Canada.

Des pays scandinaves, dont la Norvège, sont déjà touchés. Or, en Allemagne, ce déséquilibre sur le marché du travail atteint un niveau alarmant. La pénurie de travailleurs qualifiés dans la première économie européenne pourrait provoquer une crise dans moins de 10 ans.

L'heure de la retraite ayant sonné, l'Allemagne va perdre 1,4 million d'ingénieurs, de scientifiques et de techniciens de haut niveau d'ici 2020, prédit l'Institut économique de Cologne dans une étude.

D'ici 2015, l'industrie allemande manquera d'un total de 3 millions de travailleurs qualifiés, tous métiers confondus.

Pour des géants industriels comme Siemens, Volkswagen ou SAP, cela pourrait se traduire par une chute de productivité et de graves conséquences. Des données de la firme Ernst&Young, compilées par Bloomberg, indiquent que la pénurie de travailleurs qualifiés entraîne déjà des pertes de revenus de 31 milliards d'euros (plus de 45 milliards CAN) par an pour les entreprises allemandes.

Pays le plus peuplé du Vieux Continent, l'Allemagne a perdu plus de 400 000 habitants depuis 2000 alors que, sur la même période, la France en a gagné 4,9 millions. Preuve que le faible taux de chômage allemand (6,7% en mai) n'est pas le fruit uniquement des succès industriels du pays. Il découle aussi du fait que peu de jeunes entrent sur le marché du travail.

Certains Länder, comme la Bavière, sont ainsi déjà confrontés à une pénurie de main-d'oeuvre, le taux de chômage n'y étant que de 3%.

«Japan inc. vous veut»

Au Japon, dont le problème de vieillissement est notoire, le gouvernement réalise enfin la gravité de la situation et a pris les moyens pour combler les besoins de main-d'oeuvre du pays.

Tokyo vient d'annoncer qu'il fera venir des milliers d'étrangers pour pallier le manque de travailleurs. Un changement de cap majeur, historique, pour un pays très peu enclin à l'immigration.

L'objectif est d'accepter 200 000 travailleurs étrangers par an, à partir de 2015, dans un pays qui ne compte que 717 500 employés non japonais.

Le Japon n'a pas le choix, car sa population diminue à vue d'oeil: le recensement officiel parle d'une perte nette de 244 000 personnes, seulement l'an dernier, en raison surtout d'un faible taux de fécondité (1,4 enfant par femme).

Le manque de bras n'a jamais été aussi criant, selon le ministère du Travail. Deux entreprises sur cinq (41%) dans le secteur du bâtiment n'ont pas assez d'ouvriers. Et le pire est à venir: un tiers des salariés dans ce milieu a plus de 55 ans.

Pour les Jeux olympiques de 2020 à Tokyo, il manquerait au moins 25 000 ouvriers pour compléter les installations. C'est sans compter les travaux de décontamination et de reconstruction dans le Tohoku (la région où se trouve la centrale nucléaire Fukushima), qui nécessiteront l'embauche de milliers de personnes. Ou encore les services aux personnes âgées, où 1 million d'employés doivent être embauchés d'ici 2025 pour maintenir le niveau actuel des services.

Les Allemands, de leur côté, ont déjà ouvert toutes grandes les portes aux étrangers.

Après les États-Unis, l'Allemagne est désormais la terre d'immigration la plus courue sur la planète grâce à une nouvelle politique sur la main-d'oeuvre étrangère. Selon l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), 400 000 migrants se sont installés dans ce pays en 2012, soit 38% de plus que l'année précédente. Aux États-Unis, ils étaient un million.

La première économie d'Europe attire désormais davantage que le Canada ou l'Australie, qui ont accueilli chacun aux alentours de 25 0000 migrants.

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LES ROBOTS FORTEMENT DEMANDÉS

Pour pallier le manque de main-d'oeuvre, de plus en plus d'entreprises ont choisi de mettre au travail... des robots.

Les ventes annuelles de «bras mécanisés» sont passées de 60 000 unités en 2009 au double en 2013. Selon l'International Federation of Robotics, la vente de robots industriels augmente de 7% par an, pour une valeur marchande de 8,7 milliards US. Le Japon compte déjà une force active de 311 000 robots.

La Chine, qui est aussi menacée par le vieillissement rapide de sa population, est maintenant le premier acheteur mondial de robots industriels.

China inc. aurait ainsi acheté 36 650 de ces machines en 2013, soit une hausse de plus de 60% en un an. Le Japon arrive en deuxième place (26 015), suivi des États-Unis (23 679).