Incapables de compter sur les étrangers, les Européens surtout, pour soutenir leur économie, deux leaders du BRIC - la Chine et le Brésil - viennent de prendre une décision importante: dorénavant, c'est leur économie domestique qui prendra le relais des pays riches pour assurer la croissance.

La Chine a scellé ce virage stratégique majeur, jeudi, en annonçant une première baisse en quatre ans des taux d'intérêt. Pékin souhaite ainsi relancer le commerce de détail et l'immobilier - deux moteurs économiques qui ont nettement ralenti.

La semaine précédente, la Banque centrale du Brésil abaissait pour sa part ses taux à des creux historiques. En neuf mois, les taux de référence ont plongé de 4,0%, pour retomber à 8,50%, et Bank of America prévoit d'autres baisses d'ici la fin 2012.

Ces coups de barre spectaculaires de la Chine et du Brésil, un baume pour les Bourses la semaine dernière, constituent toutefois une stratégie risquée, selon les experts. Voici pourquoi.

Crédit en folie

D'abord, un récent portrait des finances personnelles dans les pays émergents montre que le crédit à la consommation était déjà en forte croissance, et ce, avant les derniers assouplissements des conditions d'emprunt.

Un rapport du Crédit Agricole, dévoilé il y a quelques jours, indique que les prêts personnels ont bondi en 2011 de 49% en Argentine, de 20% au Brésil, de 28% en Chine et de 41% en Russie, entre autres.

Par comparaison, l'Union européenne et le Japon accusent, à ce propos, des reculs respectifs de 2,9% et 4,1%. Les Américains ont timidement renoué avec les joies du crédit l'an dernier, avec une croissance de 3,9% mais après un recul (-1,7%) en 2010.

Autrement dit, le crédit allait bon train bien avant que la Chine et le Brésil lui donnent un coup de talon dans les flancs.

Consommez

Pourtant, les autorités brésiliennes ont choisi d'encourager les familles à emprunter davantage. Et ce, même si le niveau d'endettement des Brésiliens est à un sommet historique.

En plus d'abaisser les taux d'intérêt, les autorités brésiliennes ont aussi réduit les réserves obligatoires des banques - des sommes mises de côté pour assurer leur viabilité financière.

En allégeant ces contraintes, les autorités comptent injecter 9 milliards additionnels (18 milliards de réals) dans l'économie. On espère notamment stimuler la demande dans le secteur automobile qui est en perte de vitesse.

Contre toute attente, la croissance de l'économie brésilienne a été nulle au troisième trimestre 2011 et la reprise piétine depuis ce temps.

Or, les ménages brésiliens sont déjà fort endettés. Ils consacrent 22,3% de leurs revenus à rembourser leurs emprunts - soit deux fois plus que les Américains (10,9%), selon les données des banques centrales compilées par Bloomberg.

On risque donc, selon le courtier brésilien BES Securities, de créer des problèmes de surendettement à plus ou moins long terme.

Des médias locaux ont même sonné l'alarme au sujet des prêts-auto: en avril, le taux de défaillance sur ces prêts au Brésil atteignait 5,9% contre 5,7% en mars et 3,2% un an plus tôt. Bref, il y a déjà à une détérioration.

Des prêts douteux

Le gouvernement chinois a aussi décidé d'ouvrir les vannes du crédit même si des rapports étrangers, publiés cet hiver, ont mis en doute la santé des banques régionales.

Contrairement au Brésil, le problème des Chinois ne réside pas du côté des consommateurs, dont le taux d'épargne légendaire (30% du revenu, selon des sources) est jugé trop élevé pour maintenir un équilibre économique.

On s'interroge plutôt sur la gestion des collectivités locales, qui ont emprunté massivement après la crise financière 2008-2009 pour relancer l'économie chinoise grâce à la construction d'infrastructures et à de grands projets immobiliers. De l'avis des experts, beaucoup de ces projets sont d'une rentabilité douteuse, de vastes complexes immobiliers demeurant totalement vides.

Citigroup a déjà évalué que 20% de ces prêts seraient potentiellement irrécupérables, si bien que plusieurs banques sont jugées fragiles.

Entre-temps, Pékin a rassuré beaucoup de gens hier en dévoilant que les exportations du pays ont grimpé de 15,3% en mai, une hausse plus forte que prévu. Reste que le plus gros marché des Chinois, l'Europe, demeure très affaibli.

De plus, le repli de l'inflation depuis trois mois confirme, avec d'autres indicateurs publiés samedi, le ralentissement de la deuxième économie mondiale.

Aussi, la Chine et le Brésil ont fait leur choix. C'est sur la demande domestique, la consommation surtout, qu'on s'appuiera pour surmonter cette crise.

C'est un pari est risqué... mais calculé: on préfère gérer une surchauffe, alimentée par un crédit abondant et bon marché, qu'une crise sociale provoquée par une économie en panne.

Variation sur un an

Chine "28%

Brésil "20%

Russie "40%

Argentine "49%

Source: Crédit Agricole