À la fin de la semaine dernière, l'ex-multimillionnaire chinoise Wu Ying a vu sa peine de mort commuée en emprisonnement. Elle a été reconnue coupable de ventes pyramidales, mais a toujours soutenu qu'elle ne faisait qu'organiser des prêts à des PME.

Quelques mois auparavant, à 1400 kilomètres au sud de Pékin, la ville côtière de Wenzhou a connu une vague de suicides de dirigeants de PME, incapables de trouver un prêt pour maintenir leur entreprise à flot malgré la crise économique européenne.

En apparence, rien ne lie ces deux événements. Pourtant, ce sont tous deux des symptômes d'un même problème chinois: les graves distorsions du système bancaire.

«Les lacunes du système financier chinois sont particulièrement visibles ces derniers temps», analyse Jean-Philippe Béja, sinologue à Sciences Po Paris, qui était à Montréal la semaine dernière pour deux conférences. «Il y a un ralentissement de la croissance mondiale et en même temps un vieillissement de la population. La Chine doit trouver une manière de baser son économie sur la consommation intérieure plutôt que sur les exportations. Si la croissance économique ne se poursuit pas, les tensions sociales deviendront intenables.»

Accès au crédit

Le problème de l'accès au crédit par les PME est dû aux normes réglementant le taux d'intérêt que les banques peuvent offrir aux épargnants. Ce taux est maintenu anormalement bas, ce qui permet aux banques d'offrir de généreux prêts aux grandes entreprises étatiques. Le secteur bancaire privé est aussi maintenu dans un état de sous-développement. Les PME doivent se contenter des miettes ou alors faire affaire avec des intermédiaires plus ou moins fiables. Ceux-ci regroupent les capitaux des familles de la classe moyenne qui ne se satisfont pas des rendements offerts par les banques. Ce désir de la classe moyenne explique aussi la surchauffe immobilière.

«Le lobby des grandes entreprises d'État est très fort et limite les réformes, dit M. Béja. Mais dans les régions côtières les plus développées, on voit certaines concessions du pouvoir. La province de Zhejiang, où est située Wenzhou, a relâché les contrôles sur les banques privées après les suicides d'entrepreneurs. Dans la province de Guandong, on a permis à des associations de travailleurs de faire la grève pour demander de meilleures conditions salariales.»

Peur de l'inflation

Le Parti communiste chinois (PCC) est particulièrement sensible aux problèmes économiques. Zhao Ziyang, qui était secrétaire général du Parti communiste chinois jusqu'en mai 1989, a affirmé dans un livre paru en 2009 que l'inflation galopante avait été l'une des principales causes de la contestation de la place Tiananmen, en 1989: les manifestations monstres avaient donné du courage aux étudiants.

«Le PCC a une peur bleue de l'inflation, confirme M. Béja. Des sommes énormes ont été investies dans la lutte contre l'inflation l'an dernier. L'inflation a non seulement joué un grand rôle pour Tiananmen, mais elle est aussi la principale raison de l'effondrement du Kuomintang et de la victoire des communistes en 1948.»

Pour compliquer le tout, la Chine perdra 11% de ses travailleurs d'ici 2050, à cause du faible taux de natalité - en partie lié à la politique de l'enfant unique. Le nombre de Chinois âgés de 20 à 24 ans chutera de moitié pour atteindre 63 millions, selon l'ONU.

«C'est le seul pays qui est arrivé à une telle proportion de personnes âgées, soit 9%, sans être un pays devenu riche, dit M. Béja. Les systèmes de pension et de santé nécessaires n'existent pas encore. On dit souvent que la croissance peut continuer grâce aux enfants non déclarés. Mais comme ils sont sous-éduqués, ils alimentent surtout les bandes criminelles.»