En matière d'hypothèque, c'est presque un réflexe: la majorité des propriétaires optent pour un terme de cinq ans. Mais rares sont ceux qui se rendent jusqu'à l'échéance sans réaménager leur prêt. Déménagement, difficultés financières, projet de rénovation, divorce, décès... Peu importe la raison, les prêteurs leur imposent des pénalités de plus en plus salées. Il n'est pas rare que les emprunteurs aient à verser 10 000 à 20 000$ en guise de dédommagement.

À 83 ans, Albert est cloué dans sa maison trop grande à cause d'une pénalité astronomique qui l'empêche de se libérer de son hypothèque. Grosso modo, son institution financière lui a demandé une pénalité de 30 000$ pour le remboursement anticipé de son prêt de 100 000$.

Albert avait signé l'hypothèque à la fin de 2007, en suivant les conseils d'un courtier hypothécaire qui l'avait dirigé vers un prêteur alternatif de l'Ontario. Albert avait contracté une hypothèque de 5 ans, amortie sur 25 ans, à un taux d'intérêt de 8,3%, pour financer sa maison évaluée à 425 000$.

Mais l'an dernier, Albert a eu besoin de liquidités. Il a voulu troquer son hypothèque contre une hypothèque inversée. Cela lui aurait permis d'arrêter de payer des mensualités, car avec ce type de prêt, les intérêts s'accumulent et grugent graduellement le capital de la maison jusqu'au moment de la vente.

Mais la transaction s'est écroulée, juste avant le rendez-vous chez le notaire. En demandant le solde exact de son hypothèque, Albert a pris connaissance d'une «petite» clause que le notaire avait oublié de lui mentionner, en 2007. Il pourrait d'ailleurs s'agir d'une faute déontologique.

Toujours est-il qu'en vertu de son acte de prêt, Albert ne bénéficiait «d'aucun privilège de remboursement anticipé». Impossible de mettre fin à l'hypothèque avant l'échéance. De toute façon, le prêteur exige tous les intérêts à verser jusqu'à la fin.

Comme Albert versait environ 8300$ d'intérêts par année, et qu'il restait plus de trois ans et demi à courir à son prêt, la facture des intérêts à courir s'établissait à 30 000$. «Nous avons laissé tomber notre entente et notre joie», raconte la conjointe d'Albert. Le couple a ensuite tenté de vendre une partie de son terrain, ce qui lui aurait permis de dégager 100 000$. Mais le prêteur a fait la sourde oreille. Finalement, Albert a dû contracter une hypothèque de deuxième rang.

Normal?

Le cas d'Albert n'est pas anormal. «Si vous avez une hypothèque fermée, votre institution financière peut vous permettre de résilier votre contrat hypothécaire, mais elle n'est pas tenue de le faire», explique Julie Hauser, porte-parole de l'Agence de la consommation en matière financière du Canada (ACFC).

Les prêteurs qui acceptent de résilier le contrat imposent quand même une pénalité. Généralement, la somme équivaut à trois mois d'intérêt ou au «différentiel du taux d'intérêt», selon le plus élevé des deux, comme l'explique en détail le document L'ABC des prêts hypothécaires, disponible sur le site web de l'ACFC.

Dans un environnement où les taux d'intérêt sont relativement stables, c'est la formule du trois mois d'intérêt qui s'applique. Les propriétaires s'en tirent avec une pénalité de quelques milliers de dollars.

Mais depuis 2007, les taux hypothécaires ont fondu. Les consommateurs qui avaient contracté des prêts à 6 ou 8% d'intérêt sont attirés par des taux aussi bas que 4,3% présentement (on a même vu 3,7% il y quelques mois, pour une hypothèque fermée de cinq ans).

Mais pour se libérer de leur prêt, ils doivent verser une pénalité qui équivaut à la différence entre l'ancien et le nouveau taux (ex: 6% - 4,3% = 1,7% d'intérêts sur le montant du prêt, jusqu'à l'échéance).

«On a vu beaucoup de personnes qui souhaitaient ouvrir leur prêt pour bénéficier d'un meilleur taux d'intérêt. Mais beaucoup ont abandonné le projet parce que la pénalité était dissuasive. Entre 10 000 et 20 000$, c'était courant. On a même vu un cas à 41 000$!» se souvient Denis Doucet, directeur régional pour la Rive-Sud du courtier hypothécaire Multi-Prêts.

Le problème, c'est que la formule du différentiel des taux est élastique.

Formule élastique

Dans l'acte hypothécaire, le libellé du «différentiel de taux» est assez standard. Mais le prêteur spécifie rarement de quel taux il s'agit exactement.

«J'ai déjà vu des institutions comparer le taux du prêt à celui des obligations du gouvernement du Canada 10 ans (3,2% cette semaine). Le taux est très inférieur aux taux hypothécaires, ce qui permet d'obtenir un différentiel beaucoup plus grand», raconte M. Doucet.

D'autres prêteurs vont comparer l'ancien taux 5 ans au taux hypothécaire actuel, mais pour la durée restante du prêt. Comme les taux à court terme sont plus bas (ex: taux négocié à 2,5% pour un terme d'un an, versus de 4,3% pour cinq ans), cela augmente l'écart entre les taux d'intérêt, et gonfle la pénalité.

Mais lorsque les propriétaires signent leur hypothèque, ils ne comprennent pas les rouages du calcul de la pénalité. «Quand on lit la clause, bien souvent c'est incompréhensible», dit Caroline Arel, avocate et responsable du service budgétaire d'Option consommateurs.

De toute façon, «le différentiel de taux ne veut rien dire, en soi, quand on ne sait pas quels taux on compare. C'est là où il y a des écarts entre les institutions et où on peut se retrouver avec des pénalités importantes», explique M. Doucet.

Pour éviter les surprises, il faut s'enquérir auprès de son prêteur, plutôt que d'estimer le montant de la pénalité, indique Option consommateurs. Ses conseillers budgétaires ont vu plusieurs propriétaires coincés avec des pénalités de 10 000$ à 15 000$... et même jusqu'à 26 000$.

Avant de magasiner un nouveau prêt, «on suggère aux consommateurs de demander un état écrit du calcul de la pénalité. Mais souvent, il est difficile de l'obtenir», dit Mme Arel.

D'autres extras

Les institutions financières ont trouvé d'autres astuces pour éviter que leurs clients déchirent leur hypothèque avant l'échéance, un phénomène très fréquent.

«On s'est retrouvé, dans les dernières années, avec des prêteurs qui venaient rechercher le rabais de taux d'intérêt qu'ils avaient accordé, ou qui reprenaient, au prorata, la remise en argent qu'ils avaient donnée à la signature», dit Robert Perrier, vice-président du courtier Intelligence Hypothécaire/Invis.

Présentement, les bons clients peuvent négocier un rabais de 1,5% par rapport au taux affiché pour une hypothèque de cinq ans. À moins qu'ils optent pour une remise en argent. Certaines banques remettent jusqu'à 5,5% de la valeur du prêt, d'autres vont jusqu'à 25 000$ de remise.

Quand il faut rendre ces sommes, «ça fait des pénalités assez salées», assure M. Perrier qui a vu des pénalités allant jusqu'à 30 000$.

Le problème, c'est que les gens optent pour un terme de cinq ans, par habitude. Mais la plupart retournent voir leur banque après trois ou quatre ans, dit M. Perrier. Ils veulent rénover, déménager, ou renégocier leur prêt pour bénéficier d'un meilleur taux d'intérêt. D'autres ménages vivent des problèmes financiers, un divorce, un décès...

Dans les cas de décès, la pénalité est inévitable. Et elle peut mettre la succession dans le rouge, indique M. Doucet. Même en liquidant la maison (ex: 130 000$ moins 7% de frais de courtage), il ne restera pas assez d'argent pour rembourser le prêt (ex: 100 000$) si la pénalité s'élève à 30 000$.

Pour plusieurs, il aurait mieux valu opter pour une hypothèque plus courte ou plus flexible. Mais tous les courtiers le disent: les clients s'attardent très peu aux clauses de leur hypothèque. Tout ce qui les intéresse, c'est le taux.

Or, les hypothèques qui offrent le meilleur taux d'intérêt sont souvent les plus contraignantes.

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Six questions avant de résilier votre hypothèque

1 - Devrez-vous payer une pénalité? Quelle sera la somme exacte?

2 - Devrez-vous payer des frais administratifs?

3 - Devrez-vous payer des frais juridiques ou des frais de déboursement pour mettre fin à l'ancienne hypothèque?

4 - Devrez-vous payer des frais juridiques ou des frais de déboursement pour enregistrer la nouvelle hypothèque?

5 - Devrez-vous rembourser la «remise en argent» que vous avez reçue à la signature de l'hypothèque?

6 - Devrez-vous rembourser les intérêts correspondants au rabais de taux obtenu lorsque vous avez négocié votre hypothèque?

Source: ACFC