La crise économique n'est décidément pas tendre pour l'Union européenne (UE), qui voit sa cohésion compromise par un vigoureux débat sur le protectionnisme.

Le gouvernement français a mis le feu aux poudres en annonçant lundi un plan de sauvetage du secteur automobile interdisant aux constructeurs Peugeot et Renault de délocaliser des usines hors de l'Hexagone pour une durée de cinq ans.

 

Le président français Nicolas Sarkozy avait affirmé la semaine dernière, lors d'une intervention télévisée, qu'il fallait même envisager de procéder à des relocalisations «si possible».

«Si on donne de l'argent à l'industrie automobile pour se restructurer, ce n'est pas pour apprendre qu'une nouvelle usine va partir en République tchèque ou ailleurs», a souligné le chef d'État, en évoquant un des pays d'Europe de l'Est où les constructeurs français disposent d'unités de production.

La République tchèque, qui occupe depuis le début du mois de janvier la présidence tournante de l'UE, n'a pas du tout apprécié d'être ciblée par le président français.

Le premier ministre tchèque Mirek Topolanek a déploré que certains pays tentent «d'utiliser la crise financière pour introduire des formes de protectionnisme». Il a précisé que le plan français risquait même de compromettre l'adoption par Prague du traité de Lisbonne, sensé mener à une révision des procédures décisionnelles au sein de l'UE.

La chancelière allemande Angela Merkel a prévenu que tous les pays membres devaient examiner attentivement les mesures qu'ils adoptent en temps de crise pour s'assurer de procéder de manière «juste et équitable». Elle a souligné que la question du protectionnisme serait certainement évoquée lors d'un sommet des pays membres début mars.

La Commission européenne s'est aussi inquiétée du plan français, questionnant sa conformité avec les règles en place favorisant le libre commerce. Dans un communiqué, l'organisation insistait il y a quelques jours sur la nécessité de «lutter contre le nationalisme économique, contre le protectionnisme interne, contre toutes les formes de populisme et d'extrémisme».

Le premier ministre français François Fillon a été envoyé d'urgence à Bruxelles dans l'espoir de mettre fin à la polémique tout en insistant sur la légalité des conditions imposées aux constructeurs français.

Les mises en garde émanant des économistes se multiplient pendant ce temps dans les médias français.

L'historien Patrice Baubeau a relevé il y a quelques jours dans Libération que l'introduction par les États-Unis en 1930 d'une loi rehaussant les tarifs douaniers sur des milliers de produits avait considérablement aggravé la crise. Vingt-cinq pays avaient adopté des mesures de rétorsion contre la loi, adoptée dans une période qui a vu le commerce mondial fondre de près de 60% en quelques années.

Les droits de douane sont aujourd'hui cinq ou six fois moins élevées qu'à l'époque et les mécanismes régissant le commerce international sont beaucoup plus développés, modérant les risques d'un nouveau dérapage, estime M. Baubeau.

L'économiste Jean-Luc Gréau ne croit pas que les mesures protectionnistes adoptées à l'époque ont considérablement aggravé la crise. «C'est une fable», dit-il en entrevue.

C'est plutôt un dramatique effondrement de la demande interne qui a entraîné dans son sillage une chute des exportations, estime cet ex-conseiller économique de la principale organisation patronale de France.

Il faut cesser de voir le protectionnisme «comme une forme de pathologie de l'esprit fondée sur la peur», souligne M. Gréau, qui milite avec un groupe d'intellectuels français en faveur d'une forme de «protectionnisme européen».

Les pays de l'UE, tout en évitant de se disputer entre eux, ne devraient pas hésiter, selon lui, à imposer des barrières tarifaires pour empêcher la délocalisation d'usines vers des pays où les salaires sont dérisoires et les préoccupations environnementales pratiquement inexistantes.

«Nous sommes dans une nouvelle phase de l'histoire économique. Il faut éviter la suppression du tissu productif qui nous permet de supporter nos mesures sociales», souligne M. Gréau, qui critique en particulier l'Inde et la Chine.

Au même moment, les grands argentiers du G7 (États-Unis, Japon, Allemagne, Grande-Bretagne, France, Italie, Canada) sont arrivés hier à Rome pour une réunion où il sera abondamment question de libre commerce.

La Russie a aussi été invitée à la réunion qui s'achèvera aujourd'hui avec la publication d'un communiqué.

Le directeur général du FMI Dominique Strauss-Kahn, qui sera présent à Rome, a aussi mis en garde contre un «protectionnisme qui peut revenir par la porte de derrière, en particulier dans le secteur bancaire».