Yves Gougoux aura 62 ans dans quelques jours. À l'âge où on aime voir grandir ses petits-enfants, le dirigeant de Publicis Canada et BCP vient de vendre ses participations détenues dans les deux agences de publicité au Groupe Publicis Worldwide. Tel qu'annoncé la semaine dernière, il demeure président du conseil des deux entreprises. «J'ai tout donné à mon entreprise, lance-t-il. J'aimerais avoir du temps pour mon épouse, mes enfants et petits-enfants.»

Mais ventes d'actions ne rime pas forcément avec retraite. «J'ai commencé en agence en 1975, dit-il. Ça a passé vite. Je suis en santé, mais il y en a moins devant. Et il y a des choses que je veux faire vraiment. Les côtés opérationnel et exécutif de mon travail sont moins plaisants. Je vais plutôt passer du temps dans le processus de création d'idées et dans la stratégie de conquête de mandats. Je veux aussi avoir des moments de réflexion pour faire évoluer l'agence. Quand on vend ses actions, on a plus de distance et on peut penser plus à long terme. Je veux assurer une pérennité à BCP et permettre à Publicis Canada d'autres types de croissance. Quand on a 30% des actions (de Publicis), on ne planifie pas les acquisitions de la même façon.»

Yves Gougoux se recolle à la création alors que la part des revenus liée au numérique est destinée à croître chez Publicis et BCP. «On s'en va dans une autre dimension, dit Yves Gougoux. Le métier a changé beaucoup depuis cinq ans. La moitié des revenus de Publicis proviennent du numérique. Maurice Lévy (PDG de Publicis Groupe) prévoit que ce sera 75% d'ici trois ou quatre ans.»

L'heure est néanmoins au bilan d'une carrière menée intensément de Montréal à Paris en passant par Toronto et Chicago. D'aucuns diront que c'est un publicitaire dur et intransigeant qui vient de laisser la direction des deux agences. Le principal intéressé préfère dire franc, pragmatique et intense. «Mon père médecin était comme ça, souligne Yves Gougoux. On a souvent dit que j'étais dur, mais jamais mes collègues ni mes clients. C'est vrai que je n'ai pas été aimé, mais j'ose espérer que c'était professionnel. Quand je suis en mode conquête, je donne tout ce que j'ai. Il faut être convaincu qu'on va gagner. Ce n'est pas que je suis méchant, mais une présentation pour obtenir le compte publicitaire d'un client is serious business.»

Son tempérament «professionnel» a été façonné à coups d'acquisitions de grands comptes, de tentatives d'achats d'agences et de développement aux États-Unis et en Europe, couronnés de succès ou qui se sont soldés par des échecs. Notamment lorsqu'il a tenté de propulser BCP, première agence francophone créée il y a 50 ans par Jacques Bouchard, au-delà de nos frontières. «Mon Dieu que j'ai essayé d'amener BCP à Toronto dans les années 80! lance Yves Gougoux. J'ai fait des erreurs. Ce fut lourd, douloureux, coûteux. J'ai acheté de petites agences sans succès. C'était compliqué. Il y a eu des conflits, la revente d'actions...»

Idem au moment de l'ouverture d'une agence de pub à Paris, en 1991. «On avait de beaux comptes publicitaires, mais on était des étrangers et on avait une feuille de route limitée, affirme Yves Gougoux. Ça aurait pris beaucoup d'argent pour y arriver. En 1995, j'ai donc appelé Maurice Lévy pour disposer de cette agence. Et il m'a répondu: Non, mon projet c'est d'être au Canada!» Ainsi naissait Publicis Canada en 1996.

S'il dit qu'il faut mettre du temps avant de se sentir prêt à délaisser la direction d'une agence, Yves Gougoux vend l'esprit en paix ses actions de Publicis et BCP qui ne font qu'une à ses yeux. «J'ai constitué une équipe solide à Montréal, dit-il. On a fait des gains substantiels depuis trois ans: Chrysler Canada, Metro, Budweiser, Coca-Cola, Cascades. Depuis trois mois, il y a eu Poste Canada, Westjet et Dairy Queen. Les chiffres sont bons. On a une croissance dans les deux chiffres soutenues depuis 2009 ou pas loin.»

Quant à BCP, agence mythique, autrefois la plus importante au Québec, a-t-elle encore sa raison d'être? «BCP a connu des hauts et des bas, admet Yves Gougoux. Aujourd'hui, elle est encore en vie et détient des comptes nationaux. Elle va être énergisée. Et Publicis a besoin de cette deuxième marque, pour certains comptes. Il n'a jamais été question de fermer BCP.»