Il n'a pas plu assez en Inde. Il pleut trop au Brésil. Les deux pays produisent plus de la moitié du sucre du monde. Avec une crainte de pénurie en toile de fond, les marchés se sont emballés cet été. Jusqu'à pousser le prix du sucre vers des sommets inégalés depuis 30 ans. Ces intempéries du bout du monde seront-elles assez puissantes pour faire tempête sur la note d'épicerie des Québécois?

Oui et non. Le prix du sucre au supermarché est déjà à la hausse. Plus de 3% d'augmentation pour le mois de juillet, comparativement au mois précédent et 8% si on le compare à l'été dernier. «C'est une hausse vraiment plus forte que la normale», note l'économiste Sébastien Lavoie, de la Banque Laurentienne. Le prix des confiseries, au détail, suit cette lancée.

Chez Statistique Canada, où l'on calcule ces indices de prix à la consommation, on fait aussi le lien entre les cours du sucre qui s'affolent depuis quelques mois et celui du sac de sucre et de ses dérivés qui se détaillent déjà plus cher, à l'épicerie.

Mais il ne faut pas s'attendre à voir les prix des aliments sucrés monter si vite. «Pour l'instant, nous sommes protégés par des ententes à moyen et long terme avec nos fournisseurs», explique Céline Patenaude, directrice des communications chez Saputo, qui compte aussi la division Vachon, célèbre pour ses petits gâteaux.

Les achats de sucre sont faits longtemps à l'avance, selon le prix du marché au moment de la négociation. Il n'y a donc pas d'effet immédiat dans les produits transformés, rassure Sylvie Cloutier, du Conseil de la transformation alimentaire du Québec. Les grands industriels attendent de voir si le prix se maintiendra à la hausse, dit-elle.

Si c'était le cas, ils devraient éventuellement signer des contrats avec les nouveaux prix du marché et, oui, le consommateur finirait par voir une différence sur les étiquettes de ses produits très sucrés.

Histoire de météo

Cette tempête qui souffle sur l'industrie du sucre trouve son origine en Inde. Jusqu'à l'année dernière, le pays était un importateur de sucre. En 2008, avec une étonnante récolte de cannes à sucre, l'Inde est devenu un exportateur. Cinq millions de tonnes de sucre sont sortis du pays, explique Richard Oxley, directeur de sugaronline, un site de veille des marchés du sucre.

Cet environnement instable a fini par donner le tournis à certains agriculteurs indiens qui ont tout simplement abandonné la culture de la canne. Ils se sont tournés vers d'autres cultures plus sures, la banane notamment, explique Richard Oxley.

Arrive, au printemps dernier, une sécheresse qui réduit considérablement les récoltes. L'Inde se retrouvera à devoir importer environ cinq millions de tonnes de sucre cette année. Résultat: un trou de 10 millions de tonnes dans la planète-sucre.

Pendant ce temps, il pleut des cordes au Brésil, géant mondial du sucre. Les récoltes commencent maintenant et les prévisions sont mauvaises. «Tout cela a créé énormément d'incertitudes sur les marchés, explique M. Oxley, joint cette semaine en Angleterre. Les gens ne savent pas ce que le Brésil va produire et cela a rendu les marchés très nerveux.»

Et comme le sucre est un produit issu de l'agriculture, tributaire des forces de la nature, on ne peut pas s'attendre à une reprise immédiate.

On ne fait pas pousser des cannes ou des betteraves à sucre en claquant des doigts. Si les pays producteurs augmentent leur production, il faudra attendre une bonne année avant de voir le fruit de leurs récoltes. À ce moment, on pourrait observer un retour du balancier et vivre, à nouveau, des années de surplus de sucre. Les prix repartiraient alors vers le plancher.

Mais pour quelques mois, Richard Oxley croit que le prix du sucre va demeurer élevé. D'autant qu'il n'y a pas que cette pénurie appréhendée qui influence le prix du sucre. «C'est un marché très compliqué et plus maintenant que jamais, explique-t-il. Avant, le sucre était du sucre. Maintenant, c'est aussi de l'éthanol.»

Si le prix du pétrole devait augmenter à l'automne, cela augmenterait aussi la demande pour la canne à sucre à éthanol et, inévitablement, le prix du sucre. Pour l'instant, environ 60% des récoltes de cannes à sucre brésiliennes sont réservées pour l'éthanol, contre 40% à la production de sucre. Avec la hausse de prix, il y en aura plus pour le sucre cette année. Peut-être 42% ou 44%. «Mais la proportion ne sera pas renversée d'un coup», rappelle Sergey Gudoshnikov, économiste principal à l'Organisation internationale du sucre, organisme basé à Londres.

Le lien n'est pas direct entre l'augmentation du prix du pétrole et celui du sucre, prévient aussi Gudoshnikov. Il faut aussi tenir en compte la valeur des autres cultures, celle du maïs notamment. Un mécanisme très complexe, confirme l'économiste.

Selon Sergey Gudoshnikov, les industriels de l'alimentation n'ont pas diminué leurs commandes de sucre jusqu'à présent, malgré les prix à la hausse. Si les prix devaient rester élevés, peut-être que certains fabricants et même certains consommateurs réaliseront qu'ils n'ont pas besoin de tant de sucre, au fond, dit-il. Avec l'épidémie d'obésité, le prix du sucre pourrait-il devenir un élément décisif dans un débat de santé publique? L'économiste croit que oui.