L'industrie américaine du cannabis récréatif, un secteur en pleine expansion, s'inquiète du flou entourant la décision de l'administration Trump de révoquer une politique fédérale laissant les coudées franches aux États dans l'application des lois antidrogues.

Le ministre de la Justice Jeff Sessions a annoncé jeudi le «retour à la règle de droit», avec l'annulation de cinq directives émises sous la présidence Obama, selon lesquelles l'État fédéral ne contestait pas les votes locaux en faveur de l'usage récréatif du cannabis, qui reste illégal au niveau national.

En clair, les forces de l'ordre s'abstenaient de poursuivre les acheteurs de cannabis ou les officines de vente et se concentraient sur les trafiquants.

Cette décision intervient alors que la Californie s'est ajoutée le 1er janvier aux sept États, et la capitale fédérale Washington, ayant légalisé par référendum la consommation récréative.

L'État le plus peuplé du pays est devenu de facto le plus gros marché mondial légal de la petite feuille étoilée. De plus, 29 États et la capitale américaine ont avalisé son usage médical, malgré la réticence de l'Agence américaine des médicaments (FDA) à reconnaître le cannabis comme un traitement médical.

Bénéfices chiffrés en milliards

M. Sessions n'a pas ordonné d'action à proprement parler contre la vente et l'usage de cannabis, mais les procureurs fédéraux peuvent maintenant agir comme ils l'entendent dans leurs juridictions.

Le ministre souhaite notamment qu'ils utilisent les «outils nécessaires pour déstabiliser les organisations criminelles, lutter contre la crise croissante en matière de stupéfiants et contre la criminalité violente dans notre pays».

Les cultivateurs, les vendeurs de cannabis et les institutions qui les financent craignent désormais de redevenir des délinquants, alors que la vente de marijuana légale a généré environ 7 milliards de dollars en 2017, et pourrait atteindre 21 milliards d'ici 2021, selon une étude récente.

«On est en train de devenir fous», affirme le gérant d'une boutique à Las Vegas qui ne souhaite pas être identifié.

«Les professionnels de la marijuana sont les plus menacés si l'application de la loi fédérale est renforcée», confirme à l'AFP Justin Strekal, responsable au sein du NORML, le principal lobby en faveur de la légalisation.

«Mais il y aura aussi des conséquences pour les consommateurs, souligne-t-il. Si le dispensaire médical le plus proche de chez eux est fermé, où iront-ils chercher le meilleur médicament que leur médecin leur a prescrit ?»

«Aller de l'avant»

Dans les États ayant légalisé le cannabis, les autorités locales tentent de rassurer. Le ministre de la Justice du Colorado, Bob Troyer, affirme que rien ne changera dans les faits.

L'Arkansas, qui a voté en faveur d'un usage médical devant être mis en application en 2018, reste «déterminé à aller de l'avant», assure Scott Hardin, le porte-parole du ministère des Finances.

Mais pour Justin Strekal, certains procureurs fédéraux pourraient choisir une ligne dure «pour jouer les cowboys ou se bâtir une réputation» et s'attaquer aux banques, sociétés de transport ou fournisseurs dans le cadre de la législation utilisée contre le crime organisé (lois RICO).

Il rappelle que la plupart d'entre eux ont été nommés sous l'administration Trump et que Jeff Sessions est un opposant de longue date à la légalisation de la marijuana.

Au Congrès, les élus se disent prêts à protéger leur législation locale face au gouvernement fédéral.

Alors qu'environ deux millions d'Américains seraient dépendants aux opiacés, «le ministre va déployer des ressources pour lutter contre le cannabis médical. C'est soit de l'ignorance délibérée, soit de l'intimidation pour le seul profit des sociétés pharmaceutiques», dénonce la sénatrice démocrate de New York Kirsten Gillibrand.

Avant d'être nommé, M. Sessions avait affirmé que mobiliser les forces de l'ordre pour appliquer la législation fédérale sur le cannabis ne serait sans doute pas la meilleure utilisation des ressources de l'État.

Et Donald Trump avait, lors de la campagne présidentielle, adopté une position de tolérance sur le sujet, répétant à plusieurs reprises qu'il laisserait les autorités locales gérer la question. Depuis son élection, il est resté silencieux en la matière.