Le plus grand embouteilleur d'eau à propriété québécoise vit des jours sombres, à la suite du rappel du prêt de la Caisse de dépôt et placement et de la Banque de développement du Canada (BDC).

Amaro, spécialiste de l'eau vendue en contenant de 18 litres, a dû se placer sous la protection de la Loi sur la faillite et l'insolvabilité. L'avis de l'intention de faire une proposition à ses créanciers a été déposé le 5 septembre dernier.

«Nos conseillers financiers nous ont recommandé de nous placer sous la protection des tribunaux pour trouver du financement pour remplacer le prêt rappelé», explique le président d'Amaro, Daniel Colpron, au téléphone.

L'entreprise familiale qui donne du travail à 200 personnes est rentable, insiste son président, en poste depuis 1999. Ses ventes croissent même de 1 à 2 % par année depuis qu'elle a engagé la patineuse Joannie Rochette comme image de la marque.

Amaro est l'un des quatre acteurs majeurs de l'eau embouteillée au Québec avec Naya, Eska et Labrador. Ces derniers ne sont plus contrôlés par des intérêts québécois.

Le prêt de 2 millions du fonds AlterInvest avait été consenti à Amaro en 2006 et devait initialement arriver à échéance en novembre 2011. Il a par la suite été prolongé à quelques reprises jusqu'en avril 2013.

Lancé en 2003, le fonds AlterInvest est financé à 50-50 par la BDC et la Caisse de dépôt et placement du Québec. La BDC agit comme gestionnaire du fonds. En 2008, un bilan d'étape montrait qu'AlterInvest avait investi 453 millions dans 371 PME, cinq ans après sa création, et disposait encore de 168 millions à investir.

«[La Caisse de dépôt et la BDC] ont décidé de liquider le fonds AlterInvest», prétend M. Colpron, neveu de Liliane Colpron, fondatrice de Première Moisson. L'embouteilleur déplore que deux institutions vouées au développement des entreprises locales obligent sa PME à se réfugier sous la protection de la Loi sur la faillite.

Le prêt litigieux est en fait une dette subordonnée à taux d'intérêt d'environ 15 % mais dont le principal n'est remboursé qu'en présence de cash flows excédentaires, ce qui n'a pas souvent été le cas depuis 2006, reconnaît M. Colpron. Amaro a toutefois toujours payé les intérêts, dont le total excède 2 millions au cours de la période. En parallèle, l'entreprise a aussi assaini son bilan en remboursant d'autres dettes de 3,5 millions.

À l'échéance du prêt AlterInvest, en avril dernier, M. Colpron a demandé à la BDC de le refinancer à long terme, aux mêmes conditions. La BDC lui a répondu seulement le 15 août, soit la veille de son départ en Europe. Elle lui propose à la place un prêt à taux fixe avec remboursement de capital de 54 000 $ par mois; des conditions insoutenables pour Amaro, d'après M. Colpron.

«Pendant mes vacances, je prenais mes courriels. J'ai été avisé que l'huissier s'était présenté chez nous», dit M. Colpron, un brin d'amertume dans la voix.

«La Caisse de dépôt et la BDC ne sont pas des bineries, poursuit-il. Pour eux autres, recevoir 2 millions, ça ne devait pas presser. Ils auraient pu nous donner quatre ou cinq mois pour qu'on trouve du financement, et le processus serait fait de façon plus détendue.»

À la connaissance du conseiller aux communications de la Caisse, Jean-Benoît Houle, le fonds AlterInvest existe toujours, et le capital est entièrement déployé. Depuis 2010, la Caisse a changé de partenaire pour ce qui est de ses investissements dans les PME, faisant équipe avec Desjardins.

Du côté de la BDC, on nie la liquidation du fonds. «Les investissements du fonds AlterInvest I, qui arrive à échéance en octobre prochain, seront roulés dans le fonds II, qui se termine en novembre 2016, pour qu'aucune entreprise ne soit affectée par la terminaison du premier fonds», a dit Shawn Salewski au nom du service du financement subordonné à la BDC.

Mis au parfum des propos de la BDC, M. Colpron n'en revenait pas. «Pourquoi ont-ils rappelé mon prêt?», se demande l'homme d'affaires. Le porte-parole de la BDC s'est contenté de dire que la banque avait fait une offre à M. Colpron, à laquelle il n'avait pas donné suite.

Amaro dispose de liquidités pour poursuivre ses activités. Pour ce qui est de son refinancement de 2 millions, environ la moitié viendra de la vente d'un immeuble que l'embouteilleur détient à Montréal. L'autre moitié devra être trouvée auprès d'un nouveau prêteur. Il pense au Fonds de solidarité FTQ ou à Fondaction CSN.