La Presse Affaires donne la parole aux grands dirigeants du Québec. Chaque semaine, un patron répond à cinq questions posées par le chef d'entreprise interviewé la semaine précédente. Et ainsi de suite. Hubert T. Lacroix, président-directeur général de CBC/Radio-Canada, répond aujourd'hui aux questions de Jean Leclerc, président de Laura Secord.

La télé et la radio, comme la presse écrite, sont en profonde transformation. Êtes-vous satisfait de la vitesse à laquelle vous vous transformez étant donné l'ampleur du défi ?

En 2014, on a essayé de se réinventer dans un environnement financier très compliqué. On a décidé qu'on voulait devenir plus numérique, encore plus local et plus pertinent dans la vie de tout le monde. On s'est donné des objectifs pour mesurer ces stratégies. On mesure par exemple la portée numérique de CBC/Radio-Canada : on avait à peu près 9 ou 10 millions de personnes qui venaient nous voir par mois en 2013-2014 et on veut en avoir 18 millions en 2020. Pour faire ça, on a plus de 1000 employés qui ont suivi toutes sortes de formations pour développer leurs aptitudes numériques et on a embauché 150 personnes pour la création numérique.

Je vais vous donner un exemple. La jeune journaliste Marie-Ève Tremblay s'est intéressée à l'état de nos écoles secondaires. L'histoire a commencé par le tweet d'un journaliste, puis des photos nous ont été envoyées par un très grand nombre de Canadiens. Cette histoire a explosé : elle a demandé l'intervention du ministre dans l'après-midi, c'est devenu une des nouvelles du Téléjournal de 18 h et ça a fait l'objet d'un reportage dans l'émission de radio L'heure du monde.

Il y a beaucoup de changements. Mais est-ce qu'on est satisfaits de la vitesse ? On ne le sera jamais, parce qu'il y a toujours moyen d'être meilleurs.

Est-ce que vous voyez le web, les canaux spécialisés et le fait que beaucoup n'écoutent plus la télé en direct comme des risques pour vos revenus publicitaires ou comme de nouvelles opportunités à développer ?

Il y a encore un grand nombre de personnes qui écoutent la télé en direct. Selon nos statistiques, les Canadiens regardent en moyenne 27 heures de télévision en direct par semaine. Pour nous, c'est essentiel de ne pas oublier ces gens-là dans la livraison de nos services. C'est une grande partie de nos revenus de publicité.

Oui, c'est une nouvelle opportunité. On diffuse sur plusieurs plateformes, et ceux qui achètent de la publicité veulent investir sur toutes les plateformes à la fois. Ça nous permet de faire des choses un peu plus audacieuses, différentes, et de faire des partenariats, que ce soit avec Telus dans le contexte de Tou.tv extra ou Rogers et Bell pour les Olympiques.

Qu'allez-vous faire avec les 150 millions* promis par le gouvernement fédéral ? Une telle occasion, ça n'arrive pas souvent dans la vie d'un patron !

J'ai souri en voyant la question, parce que je pensais qu'on allait me demander comment une entreprise fait lorsqu'elle perd 115 millions, puis un autre 75 millions en ajustement de salaires !

J'y vois un vote de confiance pour nos employés qui ont travaillé très fort dans un environnement difficile, pour notre contenu, pour le rôle de leader pour la promotion de la culture au Canada qu'on joue, pour notre virage numérique. L'argent permettra de prendre un peu de recul sur toutes les initiatives qu'on a amorcées et d'apporter les changements requis, de continuer à soutenir les sites régionaux, de réinvestir dans notre contenu et de diminuer les répétitions dans notre grille de programmation, de continuer à expliquer aux Canadiens ce qui se passe dans le monde.

*L'entrevue a été réalisée avant le dépôt du premier budget Morneau qui prévoit un investissement de 675 millions sur cinq ans dans la Société Radio-Canada.

Il est beaucoup question ces temps-ci de la vente de la tour de Radio-Canada à Montréal. Je ne doute pas que c'est une décision prise à la suite d'une réflexion sérieuse. Pouvez-vous la partager avec nous ?

Je comprends très bien l'attachement qu'ont les gens pour la tour et ce qu'elle représente. C'est vraiment un phare dans la ville. Ceci étant dit, il faut qu'on se rappelle que notre priorité, c'est notre contenu. Notre mandat premier, ce n'est pas la promotion ni le développement immobilier. On a la responsabilité d'en limiter les risques pour protéger notre programmation.

On essaie de donner à nos employés un environnement de création qui est digne du talent qu'ils ont en 2016. Ça fait 10 ans que le processus est enclenché. On n'est pas des experts, on s'assure d'avoir de bons conseillers. On a engagé récemment Avison Young qui va regarder les options qui s'offrent à nous, parce que la décision n'a pas été prise.

Est-ce qu'on est capable de se reconstruire sur notre terrain dans un immeuble différent ou de se réinventer dans l'immeuble actuel ? Devrait-on plutôt déménager dans un immeuble neuf au centre-ville, dans le coin du Quartier des spectacles, où ce serait normal de se retrouver ? Je veux que les portes soient ouvertes, que les gens viennent nous voir. Tout ce processus accouchera d'options dans les prochaines semaines qui seront analysées. On discutera avec tous les intervenants pour que le projet soit digne de CBC/Radio-Canada.

Habitué que vous êtes aux dédales de la politique - votre actionnaire est le peuple canadien et votre principal concurrent est le chef de l'opposition à Québec -, seriez-vous tenté justement par la politique ?

Absolument pas. Zéro. Je n'ai aucun intérêt, je n'ai pas d'affiliation politique non plus. Il y a quelques-uns de mes amis qui, eux, ont choisi de se lancer dans l'arène, que ce soit au municipal, au scolaire, au fédéral. J'ai beaucoup de respect pour ça, mais ça ne m'intéresse pas du tout. Ma job, c'est CBC/Radio-Canada, et c'est pour ça que je me lève le matin.

LE PARCOURS D'HUBERT LACROIX EN BREF

Âge : 60 ans

Études : Hubert Lacroix a un baccalauréat en droit civil et une maîtrise en administration de l'Université McGill.

PDG depuis : le 1er janvier 2008

Nombre d'employés : 7500

Avant d'être à la tête de Radio-Canada :  Il occupait les fonctions de conseiller spécial auprès du bureau de Montréal de Stikeman Elliott. De 2000 à 2005, il était président exécutif du conseil de Société Télémédia. Il a aussi été associé principal du cabinet d'avocats McCarthy Tétrault pendant 20 ans.

À LIRE LA SEMAINE PROCHAINE : Louis Garneau, président et fondateur de Louis Garneau, répond aux questions d'Hubert Lacroix.