Avec le perfectionnement des appareils intelligents et du mobilier ergonomique, on pourrait croire que le travail de bureau serait aujourd'hui plus confortable. Or, les troubles musculo-squelettiques, la fatigue visuelle et les contrecoups de la sédentarité minent toujours la santé des employés de bureau. Le point avec deux expertes.

ATTENTION AUX APPAREILS INTELLIGENTS

Depuis un an, Isabelle Gagné a pris l'habitude de questionner systématiquement les employés de bureau à propos de leur utilisation d'appareils intelligents quand elle analyse leur poste de travail. « Avant, on regardait seulement le bureau pour identifier la source de la douleur, remarque l'ergonome, également présidente de Réadaptation Intergo. Désormais, le travail s'étire jusqu'à la maison et on peut se faire mal au cou lorsque, chaque soir, on prend l'habitude de consulter ses courriels sur son iPad assis tout croche dans son divan. »

Michèle Langlais, consultante spécialisée en santé et sécurité au travail, observe aussi des blessures au cou chez les employés de bureau qui utilisent couramment des appareils intelligents. « C'est le syndrome du text neck, indique-t-elle. Lorsque le cou est fléchi au-dessus d'un écran, le poids de la tête se fait de plus en plus lourd sur la colonne cervicale, ce qui peut entraîner entre autres un désalignement de la colonne et de l'inflammation. À long terme, ça peut même engendrer de l'arthrose prématurée. »

PROBLÈMES DE POSTURE PERSISTANTS

« Il y a encore beaucoup de douleurs musculo-squelettiques chez les travailleurs de bureau », observe Isabelle Gagné. Le mobilier ergonomique n'a jamais été aussi répandu et pourtant, « c'est comme si les employés ne savent pas comment les utiliser correctement », se désole-t-elle.

Même son de cloche du côté de Michèle Langlais : « En 2015, malgré toutes les informations qui circulent sur l'ergonomie, les travailleurs de bureau ont toujours du mal à ajuster leur poste, et ce, même si on leur a montré comment faire, affirme-t-elle. Quand ils ont mal, ils préfèrent se tourner vers des professionnels de la santé, alors que de simples modifications à l'environnement de travail pourraient tout changer. »

TRAVAILLER DEBOUT

Les dangers de la sédentarité guettent les travailleurs de bureau : embonpoint, circulation sanguine et métabolisme au ralenti, risque de diabète, de maladies cardiovasculaires, de cancer... La solution ? Des bureaux debout ou des bureaux actifs munis d'un tapis roulant. Des résultats de recherche indiquent qu'ils sont non seulement bons pour la santé physique, mais ils stimulent aussi la productivité. Cependant, peu d'entreprises en font l'achat en raison de leur prix prohibitif.

« J'aimerais que les entreprises aient recours à des tables de travail réglables en hauteur de façon à varier la posture. »

- Michèle Langlais, consultante spécialisée en santé et sécurité au travail

Elle invite toutefois les travailleurs à jouer de prudence avec les bureaux actifs. « À la suite d'études, on a observé que les employés tapent moins vite et que la souris est plus difficile à utiliser, sans compter qu'ils n'utilisent le tapis roulant que 30 à 90 minutes par jour », signale-t-elle.

En attendant que les bureaux debout soient plus abordables, Isabelle Gagné estime que la responsabilité de bouger davantage revient aux employés. 

COMBATTRE LA FATIGUE VISUELLE

Maux de tête, yeux rougis et secs, vision double ou embrouillée, clignements excessifs : la fatigue visuelle est le lot de bon nombre d'employés de bureau. D'aucuns pointent les écrans. « Le temps passé à lire à l'ordinateur augmente, car on imprime moins », fait remarquer Michèle Langlais. Plusieurs logiciels permettent de grossir les caractères pour rendre la lecture plus confortable, mais tous ne sont pas au courant de ce dispositif. D'autres ne savent pas qu'il est plus exigeant pour les yeux de consulter un ordinateur portable qu'un moniteur à écran plat. Enfin, il y a une foule de petits détails, comme la luminosité de la pièce et le positionnement du moniteur, qui aident la vision de l'employé. Encore là, il y a de la sensibilisation à faire.

LE TÉLÉTRAVAIL : UNE QUESTION DE SANTÉ MENTALE

Contrairement à d'autres types d'emploi, bien des employés de bureau ont la chance de faire du télétravail. « La santé mentale de ces travailleurs bénéficie du télétravail, ne serait-ce que parce qu'il facilite la conciliation travail-famille et évite le stress du trafic », reconnaît Isabelle Gagné. En revanche, elle est préoccupée par la santé physique et la sécurité de l'employé à la maison. « Cela reste difficile à gérer pour le patron », dit-elle. Ce qui n'est pas sans conséquence : « Si les employés en télétravail développent des douleurs musculo-squelettiques, l'employeur se questionnera à savoir si les blessures sont survenues au travail ou à la maison, signale Michèle Langlais. Il serait toutefois en droit de demander aux employés de démontrer qu'ils sont bien installés chez eux. Mais ce n'est pas évident... »

EN CHIFFRES

2e

La tendinite est au deuxième rang des blessures les plus rapportées à la Commission de la santé et de la sécurité du travail (CSST) en 2014, soit 10,6 % des dossiers ouverts et acceptés ayant trait aux troubles musculo-squelettiques (TMS).

54,6 %

Proportion des TMS qui sont causés par le mouvement corporel ou la posture du travailleur blessé, a noté la CSST en 2014

60 kg

Inclinée au-dessus d'un écran, la tête peut exercer un poids allant jusqu'à 60 kg sur la colonne vertébrale, ce qui, à répétition, provoque différents TMS.

15 %

Selon une étude américaine réalisée en 2012, les gens qui restent assis huit heures par jour courent 15 % plus de risque de mourir prématurément, une situation qui touche de près les travailleurs de bureau.

50 à 90 %

Proportion de gens qui, parmi les travailleurs qui utilisent couramment un ordinateur, rapportent des symptômes de fatigue visuelle, selon des chercheurs américains en optométrie

Sources : CSST, Surgical Technology International, Archives of Internal Medicine et UAB School of Optometry