Depuis un an, Caroline Lavoie est appelée à faireu remplacement dans plusieurs secteurs d'une usine du Saguenay. Qu'il soit question d'un remplacement d'une semaine ou de plusieurs mois, l'adjointe administrative se fixe un objectif majeur : donner l'impression que la personne qu'elle remplace est encore là.

« Il faut pratiquement imiter la personne qui est en congé, souligne-t-elle. Quand j'arrive en poste, j'essaie d'être discrète et de ne pas m'imposer. Je ne suis pas là pour changer les façons de faire. Je prends la chaise de quelqu'un d'autre et je tente de prendre ses habitudes. Ce n'est pas toujours évident. »

Bien qu'elle soit formée pour reproduire les méthodes des adjointes dont elle doit chausser les souliers, Caroline Lavoie s'investit aussi pour saisir l'essence de l'entreprise. Un défi périlleux, selon Fabienne Elliott, chargée de cours en bureautique et management. « Pour arriver à apprivoiser ses tâches, son environnement et ses collègues en peu de temps, il faut être observateur et ne pas hésiter à poser des questions, dit-elle. C'est important de comprendre l'organigramme fantôme, soit le fonctionnement des réseaux humains, pour savoir comment se distribue le pouvoir dans la réalité. »

En plus d'avoir étudié la question, Mme Elliott fait régulièrement face à la situation, chaque fois qu'elle obtient une charge de cours dans une nouvelle école. « À toutes les rentrées, je saute dans un train en marche et je tente de prendre les choses là où elles sont rendues. J'essaie de m'insérer dans un groupe qui tisse ses liens à l'année, alors que je n'en ferai jamais totalement partie. »

Attachement humain

Dès les premiers jours en poste, Caroline Lavoie arrive à comprendre le fonctionnement interne d'une équipe et à y trouver une certaine forme d'aisance. Mais il arrive également qu'elle vive mal la fin d'un mandat. « Au terme d'un contrat de trois mois, j'ai eu le coeur gros, se rappelle-t-elle. Je m'étais attachée à mes collègues. Peut-être que je n'aurais pas dû, sachant que je ne les reverrais pas. »

L'adjointe administrative vit également avec l'impression de ne jamais pouvoir déployer son plein potentiel. « Je me dis souvent que si j'avais plus de temps dans un poste, je pourrais mieux faire. Ma position m'impose une implication superficielle. Je dois avoir une bonne connaissance des logiciels, mais je ne peux en approfondir aucun. Et même si ma situation me rend polyvalente et que je pourrais faire des suggestions, avec ce que j'ai assimilé ailleurs, je ne peux pas vraiment donner de conseils. Tout le monde n'est pas prêt à changer ses habitudes. »

Elle fait ici état de ce que la professeure nomme le « paradoxe du contractuel ». « D'un côté, il doit s'immerger dans la culture de l'entreprise pour mener à bien son mandat, mais sans y être assez longtemps pour baigner dedans, explique Fabienne Elliott. Pour se sentir partie prenante d'une organisation, même pour une brève période, un membre doit pouvoir s'identifier. Mais c'est difficile de développer ce sentiment dans une organisation que l'on ne connaît qu'en surface. Or, tous les humains ont le besoin de faire partie de groupes sociaux. »

Selon elle, les contractuels ont peu accès à la dimension interne de l'identité d'une entreprise. Ils ne captent que ce qui est soigneusement projeté par l'organisation. « Selon les mandats qu'on leur accorde, ils peuvent devoir participer à la construction de l'identité. Par contre, en ayant accès qu'à la dimension externe, ils renforcent cette image projetée. Et quand les dimensions interne et externe ne sont pas en équilibre, l'organisation risque de voir son identité devenir dysfonctionnelle. »