Licencier est un art, et les grandes entreprises recourent de plus en plus aux pinceaux de firmes spécialisées pour planifier le jour «J» et soutenir les employés touchés.

Bombardier Aéronautique s'y est prise deux mois avant l'annonce, en janvier, de la mise à pied de 1700 employés en Amérique du Nord. Idem du côté de La Coop fédérée, qui a annoncé, il y a 10 jours, l'abolition de 236 postes à cause de la fermeture d'un centre de distribution.

«Il y a plein de choses à prévoir au niveau des communications avec les employés, les médias, les syndicats et les fournisseurs, raconte Michel Nadeau, associé et coach exécutif de Vézina Nadeau Labre, firme appelée en renfort pour soutenir les employés de La Coop fédérée. On n'improvise pas ça la veille.»

Pour un propriétaire de resto qui annonce des suppressions de postes par texto, comme ce fut le cas chez Barducci's Pizzeria, en Floride, en juillet dernier, plusieurs dirigeants procèdent en «gentlemen».

«C'est toujours triste, on ne fait pas ça de gaieté de coeur, mais ça se fait de façon de plus en plus ordonnée, tant dans les grandes entreprises que dans les PME, dit Richard La Rue, vice-président, gestion de carrière et coaching d'Optimum Talent. Les victimes de restructuration ont accès à un programme de transition de carrière. Ce n'est pas toujours parfait, mais ça entre dans les bonnes pratiques de gestion.»

Bombardier Aéronautique a fait appel à deux firmes plutôt qu'une (LeeHecht Harrison et Knightsbridge) avant d'agir. «C'est important de bien faire les choses, explique Haley Dunne, porte-parole principale de Bombardier Aéronautique. D'abord pour nos employés; ceux qui partent et ceux qui restent. Et parce qu'il peut y avoir un impact sur les marchés et dans les programmes scolaires, au niveau des inscriptions.»

«Ceux qui partent sont de petits ambassadeurs qui pourront parler en bien ou en mal de l'entreprise, ajoute Richard La Rue. J'ai moi-même déjà été victime d'une restructuration chez Canadien Pacifique. J'ai été licencié, mais je ne parlerai jamais en mal de cette entreprise, car j'ai été bien traité lors du départ et j'ai eu accès à un programme de soutien.»

Un tel programme de suivi et de transition de carrière a son prix. «De 1000 à 2000$ par employé licencié, dit Michel Nadeau. Mais le taux de replacement est très élevé, entre 80 et 90% dans les 3 à 6 mois.»

«Et un suivi de transition se compte en mois», mentionne Richard La Rue.

Prendre le relais

Les spécialistes prennent habituellement le relais et accueillent les employés, souvent sous le choc, immédiatement après l'annonce de la mauvaise nouvelle. Et ce, sur place. «On sert un peu de tampon, décrit Richard La Rue. On s'assure que la personne ciblée évacue des émotions trop fortes et retourne à la maison de façon sécuritaire.»

«La Coop fédérée a mis beaucoup d'efforts pour bien faire les choses, note Michel Nadeau. Six conseillers, dont trois de chez nous, étaient sur place pour accueillir les employés touchés, le jour de l'annonce. On les a rencontrés pendant 30, 60 et même 90 minutes. Ce n'est pas du quick fix

Les spécialistes que Bombardier Aéronautique a embauchés resteront en contact avec les employés éplorés pour une période de un à six mois, selon le nombre d'années de service et leur poste. «On veut leur donner l'occasion de se replacer, dit Haley Dunne. Ils ont tous une personne-ressource.»

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Accueillir des personnes en souffrance

Michel Nadeau a tout entendu de la part de gens venant d'apprendre leur renvoi. «Récemment, j'ai eu affaire à un homme très agressif et j'ai eu peur, raconte-t-il. Mais en neuf ans, ça ne m'est arrivé que deux ou trois fois. Reste qu'il y a une appréhension, car on ne sait jamais ce qui va arriver. Je me fais dire toutes sortes de choses. Deux semaines plus tard, certains s'excusent.»

Comment se sentent les spécialistes en soutien à la gestion de licenciements le matin où ils se rendent dans une entreprise qui annonce une restructuration? Sont-ils accueillis avec suspicion? «Non, car j'arrive en toute discrétion et j'attends dans une salle en retrait», répond Richard La Rue.

«Pour des mises à pied massives, on arrive bien avant les employés, ajoute Michel Nadeau, qui transporte toujours des mouchoirs avec lui. C'est un métier très difficile, car on accueille des gens en souffrance. Je ne suis pas insensible, mais je ne dois pas le prendre personnel. Souvent, au bout de 30 minutes de conversation, on me dit: merci beaucoup!»

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Agir avec respect

Cinq conseils de Richard La Rue et Michel Nadeau pour licencier avec respect :

> Pour un renvoi individuel, ce doit être fait le plus tôt possible dans la semaine et dans la journée. «Un vendredi à 16h sera perçu comme un manque de respect, dit Richard La Rue. La personne va être laissée à elle-même à l'aube du week-end et ne pourra communiquer avec le service des ressources humaines.» Mais pour un licenciement massif, mieux vaut procéder un jeudi ou un vendredi.

> L'entretien doit être conduit par le supérieur immédiat. «On ne délègue pas un licenciement!», dit Richard La Rue.

> Le leader doit être bien préparé et son message doit être clair. Il doit être capable de répondre à la question: pourquoi moi?

> Le leader doit permettre la discussion et être empathique.

> Il faut soutenir les gestionnaires, car ils continuent de fonctionner dans un contexte nouveau, où la motivation est atteinte chez ceux qui restent et qui poseront des questions.