On a appris il y a quelques semaines que quatre infirmières s'étaient suicidées au cours de la dernière année au CHUQ. Cette nouvelle a remis à la question à l'ordre du jour: nos infirmières souffrent-elles de détresse psychologique au travail? La Presse a posé la question à trois experts.

«Le métier d'infirmière est reconnu pour être l'une des professions qui ont la prévalence de troubles psychologiques les plus élevés, dit Martin Lauzier, professeur en gestion des ressources humaines à l'UQO. Le National Institute for Occupational Safety l'a classé comme tel avec d'autres professions centrées autour de la relation d'aide, comme les policiers ou les enseignants. Elles ont un risque supérieur d'épuisement.»

Des études pancanadiennes ont démontré que les conditions de travail des infirmières, par rapport à d'autres groupes professionnels, les exposaient à davantage d'insatisfaction et de détresse psychologique.

«Un des éléments à la base de cette situation est la pénurie d'infirmières, explique Carl-Ardy Dubois, directeur scientifique au Centre de formation et expertise en recherche en administration des services infirmiers. Elle se répercute sur la charge de travail, et se traduit par une intention de quitter le métier et un taux d'absentéisme plus élevés que dans d'autres professions.»

Trois types de stress

Lise Fillion est une infirmière devenue professeure titulaire en sciences infirmières à l'Université Laval. Selon elle, s'il n'est pas possible de relier directement les suicides des trois infirmières du CHUQ à leur profession, car plusieurs facteurs pourraient être en cause, il n'en reste pas moins que le stress vécu au travail peut contribuer à la détresse psychologique vécue par une personne décidant de mettre fin à ses jours.

Dans le contexte québécois de 2010, trois types de stress contribuent à rendre la vie difficile aux infirmières, selon Mme Fillion. D'abord, un stress découlant de l'organisation du travail, qui cause beaucoup d'insatisfaction.

«Si l'on regarde la façon dont le travail est organisé au Québec, dans un contexte où les infirmières sont syndiquées, il y a une complexité et une rigidité faisant en sorte qu'il est difficile d'aménager son horaire ou de changer de poste, dit-elle. Dans un hôpital, il faut attendre qu'un poste se libère, acquérir de l'ancienneté, et parfois, c'est très long comme processus.»

Toute cette structure a été mise en place pour protéger les infirmières, ajoute-t-elle, mais ne prend pas nécessairement en compte les aptitudes et compétences de chacune, et laisse peu de place à la souplesse. S'y ajoutent une complexité des soins croissante, du travail en équipe et une hiérarchie à respecter.

«Les infirmières ne sont pas celles que l'on consulte le plus, elles ont de la difficulté à s'impliquer dans le processus de décisions, et se plaignent souvent d'un manque d'autonomie dans l'organisation du travail», ajoute Mme Fillion.

Stress émotionnel et professionnel

En plus de cette rigidité organisationnelle, des facteurs de stress émotionnel entrent en ligne de compte. «Des patients souffrent et sont difficiles à soulager, d'autres meurent, on croise des familles en détresse, des gens en deuil. On peut ressentir une impuissance devant ces situations. Être proche de la souffrance est exigeant, et il est possible qu'à certains moments, on soit moins en forme pour y faire face», dit-elle.

Par ailleurs, les soins de santé évoluent très rapidement, ce qui place les infirmières devant une nouvelle forme de stress professionnel.

«Tous les domaines de la médecine ont beaucoup évolué, et il faut un bagage de connaissances incroyable pour se tenir à jour, ajoute la professeure. Les infirmières devraient participer à des activités de formation de façon régulière, mais il arrive souvent qu'elles n'en ont pas la possibilité, ne pouvant pas se libérer pour un quart de travail, tandis que les organisations ont moins d'argent pour payer la formation. Elles se retrouvent dans des situations où elles ne se sentent pas bien équipées pour faire face à un problème et éprouvent le sentiment de manquer de compétences.»

Il ne faut pas s'y méprendre: beaucoup d'infirmières adorent leur travail. «Elles veulent être bonnes, donner de bons soins et faire une différence, dit Lise Fillion. Elles aiment se faire dire: on voit que vous aimez ça, une chance que je vous ai eu comme infirmière!»

Il ne faut donc pas s'étonner, ajoute-t-elle, que bien des infirmières choisissent de se tourner vers le privé, en dépit de salaires et de conditions moins alléchants. «Il faut penser de nouvelles façons d'encadrer leur travail pour leur donner plus de flexibilité et d'autonomie.»