Les commerçants ont toutes les raisons de craindre un salaire minimum à 15 $, soutient le Conseil québécois du commerce de détail (CQCD). Non seulement une telle hausse ferait chuter leur marge de profit nette à seulement 0,8 %, mais l'existence de quelque 9000 entreprises serait en péril, révèle une étude rédigée pour l'organisme.

« ÇA PRÉOCCUPE BEAUCOUP »

« On passe beaucoup de temps là-dessus. On a eu deux rencontres du conseil d'administration sur le sujet. Ça préoccupe beaucoup », souligne le PDG du CQCD Léopold Turgeon, rencontré dans ses bureaux. Les inquiétudes de ses membres sont fondées, jure-t-il en brandissant une étude de l'économiste Pierre Emmanuel Paradis pour appuyer ses dires.

Le CQCD a mandaté M. Paradis à la suite de la conférence de l'homme d'affaires Alexandre Taillefer au dernier congrès annuel du CQCD, en mars. Le papa de Téo Taxi avait lancé un pavé dans la mare en affirmant que le salaire minimum devrait être haussé à 15 $. À son avis, des travailleurs mieux payés consommeront davantage.

« Il a oublié les PME dans son équation », déplore Léopold Turgeon, qui respecte néanmoins Alexandre Taillefer, insiste-t-il.

RESTAURANTS ET COMMERCES

L'étude rappelle qu'une hausse du salaire minimum à 15 $ aurait plus d'impact dans les industries comptant un grand nombre de bas salariés. Et qu'il faut tenir pour acquis que tous les salaires sous la barre des 15 $ devront être augmentés (tant les employés à 10,75 $ l'heure que ceux à 14,50 $ voudront toucher 15 $).

« L'ampleur de l'impact dépend de la proportion d'employés à bas salaire et du ratio salaire/profit, soit deux facteurs qui désavantagent les détaillants québécois », explique l'économiste Pierre Emmanuel Paradis.

En conséquence, la vente au détail se retrouverait au deuxième rang des secteurs les plus touchés par un salaire minimum à 15 $, affirme l'étude. La restauration arrive au premier rang.

Dans la vente au détail, ce ratio approche de 6, ce qui signifie qu'une hausse de 1 % de la masse salariale diminue les profits de 6 %. En restauration, le ratio est de 11.

CHUTE DES PROFITS DE 60 %

Advenant que le salaire minimum bondisse à 15 $, Pierre Emmanuel Paradis chiffre à 10 % la hausse moyenne de la masse salariale pour les détaillants. Étant donné le ratio de 6 (expliqué précédemment), cette augmentation se traduirait par une baisse de profit de 60 %. Soit cinq fois l'impact moyen dans les autres industries.

Or, en moyenne, la marge de profit net des détaillants n'est « que de 2 % », martèle le PDG du CQCD, Léopold Turgeon.

La marge de profit net moyenne au Québec passerait donc de 2 à 0,8 %.

« Ce n'est pas un impact théorique, mais mathématique et immédiat. À 0,8 %, les détaillants devront réagir énergiquement pour assurer leur survie. Le profit, ça permet de respirer. C'est le poumon de la business », fait valoir Pierre Emmanuel Paradis.

« Réveillez-vous ! renchérit Léopold Turgeon. On ne réalise pas que dans le détail, les commerçants, il leur reste juste 2 % au bout de la ligne ! »

LE QUART DES DÉTAILLANTS NON PROFITABLES

En 2014, 27 % des entreprises canadiennes du secteur du détail n'étaient pas rentables, nous apprend aussi l'étude de M. Paradis. Ce sont autant d'entreprises qui seraient pratiquement menacées de mort advenant la hausse du salaire minimum à 15 $ l'heure, croit-il, en présumant que la proportion n'a pas changé depuis deux ans.

Au Québec, on dénombre 34 245 entreprises dans le secteur de la vente au détail. D'où l'idée qu'environ 9000 seraient fortement ébranlées par une telle hausse de coûts. Une année sans profit passe toujours, mais cela est insoutenable à plus long terme, rappelle le CQCD.

Même si la ministre du Travail, Dominique Vien, ne souhaite pas hausser le salaire minimum à 15 $ à moyen terme, elle envisage (pour le printemps) une augmentation plus élevée que les 20 cents de l'an dernier. « Indépendamment de ce que [Québec va] faire [en matière de hausses salariales], il faudra des mesures compensatoires », prévient Léopold Turgeon. Il pourrait s'agir, par exemple, d'amoindrir la taxe sur la masse salariale.

PAS DE HAUSSES DE PRIX

Selon le patron du CQCD, il est totalement faux de croire que les détaillants pourraient augmenter leurs prix pour compenser. « Il y a trop de compétition, trop d'acteurs. Il faut que tu coupes dans le personnel ou dans les heures travaillées. »

Il ne faut surtout pas oublier que le commerce n'a plus de frontières, ajoute-t-il. Des prix élevés encourageraient les consommateurs à se ruer davantage sur les sites américains, ce qui ne ferait qu'amoindrir les revenus de Québec, qui ne touche alors pas la TVQ, plaide-t-il.

Un salaire plus alléchant n'aurait-il pas l'avantage de réduire le roulement de personnel, d'améliorer le service à la clientèle et de faciliter le recrutement ? « Le roulement de personnel, ça ne dépend pas juste des salaires », répond Léopold Turgeon.

Autre impact : les détaillants remplaceront des humains par diverses technologies (caisses libre-service, guichets automatisés, biométrie), ce qui fera bondir le taux de chômage.

« Ce qui est dommage, c'est que c'est un ajustement qui détruit des emplois à jamais. Prenons l'exemple des bornes [de commande et paiement] chez McDonald's. Ce sont des pertes à jamais. Ça ne reviendra pas », dit Pierre Emmanuel Paradis.

EN CHIFFRES

480 000: Nombre de personnes au Québec qui travaillent dans le secteur de la vente

12 %: Proportion de ces travailleurs qui gagnent le salaire minimum (10,75 $ l'heure)