Tous les épiciers ne sautent pas de joie à l'idée que la SAQ puisse installer des succursales dans les marchés d'alimentation. Fatigués de se faire dire qu'ils vendent de la piquette, plusieurs préféreraient avoir le droit d'améliorer leur offre.

«On ne veut pas empêcher la SAQ de se trouver d'autres sources de revenus. Mais pourquoi réinventer la roue quand nos tablettes sont là ? On veut plus de variété, plus de qualité et des cépages [le droit de les identifier sur les bouteilles]. On a de l'espace, on est capable de faire le travail», a commenté le PDG de l'Association des détaillants en alimentation du Québec (ADA), Florent Gravel.

La Presse a annoncé hier que la SAQ aimerait pouvoir ouvrir quelques petites succursales (1500 pi2) à l'intérieur de supermarchés au début de l'année prochaine, pour tester l'idée. Ces points de vente de type «shop in shop», dans le jargon, seraient exploités par la SAQ, qui y affecterait ses employés et récolterait les ventes.

L'ADA craint que ces espaces-boutiques se retrouvent un jour dans des commerces qui ne possèdent pas de permis d'alcool, mais qui ont de l'espace et des moyens. «Target ne va pas super bien. Ils sont capables de trouver 5000 pi pour un "shop in shop" SAQ et ne pas charger de loyer juste pour faire augmenter leur achalandage», croit Florent Gravel. Tout comme Walmart vend de la nourriture et fait concurrence aux épiciers.

«Si on n'empêche pas ça, est-ce que dans les régions, dans 5, 10 ou 15 ans, les SAQ vont être chez Sears, Canadian Tire et Rona? Ça remettrait en question le modèle d'affaires des agences qui font augmenter de 8 à 15 % l'achalandage dans un commerce», soutient Florent Gravel, PDG de l'Association des détaillants en alimentation du Québec.

La SAQ compte 400 agences dans des épiceries rurales. Ces espaces de 50 à 140 pi linéaires comptent jusqu'à 150 produits. Les ventes sont effectuées par les employés du commerce.

Discrimination

Florent Gravel affirme que le projet-pilote de la SAQ l'inquiète «au plus haut point», même si certains détaillants semblent s'y intéresser.

«Dans ce dossier, je suis convaincu que ceux qui ont une vision à court terme finiront par dire "avoir su!", mais il sera alors trop tard. J'implore donc la SAQ de continuer à développer la catégorie avec tous ses partenaires au lieu de favoriser indûment les plus gros détaillants», a-t-il écrit dans le plus récent éditorial du magazine RADAR, distribué aux membres de l'ADA.

L'ADA juge par ailleurs que l'idée est «discriminatoire» envers les 7000 épiceries du Québec qui sont trop petites pour accueillir un espace-boutique. De plus, l'association se demande si les épiceries seront compensées advenant une baisse de leurs ventes de vins.

Vigilance syndicale

La présidente du Syndicat des employé (e)s de magasins et de bureaux de la SAQ (CSN), Katia Lelièvre, n'a pas voulu nous accorder d'entrevue. Dans un courriel, elle affirme que «le syndicat est en discussion avec l'employeur et ne dispose pas de toute l'information sur ces projets pour le moment. Nous serons tout de même impliqués dans la mise en place des projets-pilotes et on va demeurer vigilant».

L'an dernier, une SAQ avait été installée dans un Loblaws de L'Ancienne-Lorette, près de Québec, pendant cinq mois. Des travaux de rénovation avaient forcé la fermeture de la SAQ Express à proximité. Ce fut un succès auprès de la clientèle, selon la Société d'État. Katia Lelièvre n'a pas voulu commenter cette expérience.

Du côté d'Éduc-alcool, le porte-parole Hubert Sacy rappelle que l'accroissement de l'accessibilité à l'alcool «n'a aucun effet sur la consommation », comme l'ont démontré « toutes les recherches effectuées sur le sujet après 1978». Cette année-là, les épiciers ont eu le droit de vendre du vin, ce qui a fait passer le nombre de lieux de vente «de 800 à 14 800 en une nuit».

«L'important, croit M. Sacy, c'est que la SAQ continue d'appliquer ses normes à la lettre pour ne pas faciliter la vente d'alcool aux mineurs.»

La Presse n'a pas réussi à parler à Lassonde (Vins Arista) et à la Maison des Futailles, qui fournissent les épiceries en vins, pour obtenir leurs commentaires.